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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Par une décision du 1er avril 2022, le Conseil Constitutionnel juge conforme à la Constitution les dispositions de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, selon lesquelles une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

     La loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement avait créé l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, visant à neutraliser les recours formés contre les autorisations d’urbanisme par des associations dont la création a été provoquée par le projet contesté.

    Cet article disposait alors :

    « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

    La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique est venu aggraver cette restriction, en ajoutant à cette condition d’antériorité un délai d’un an :

    « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

    Par une décision n° 2022-986 QPC du 1er avril 2022, le Conseil Constitutionnel a jugé cette aggravation conforme à la Constitution :

    « 1. L'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 novembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

    2. L'association requérante, rejointe par la partie intervenante, reproche à ces dispositions de priver les associations dont les statuts ont été déposés depuis moins d'un an de toute possibilité d'agir en justice pour défendre leur objet social, alors même que leurs recours ne seraient ni dilatoires ni abusifs. Il en résulterait une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif. Pour les mêmes motifs, l'association requérante estime que ces dispositions méconnaîtraient la liberté d'association.

    3. En outre, elles font valoir que ces dispositions introduisent une différence de traitement injustifiée entre les associations au motif que le critère temporel retenu par le législateur pour apprécier la recevabilité de leur recours serait sans lien avec leur intérêt à agir.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au moins un an » figurant à l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme.

    5. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

    6. L'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme détermine les conditions de recevabilité d'un recours formé par une association contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols.

    7. Les dispositions contestées de cet article prévoient que ne sont recevables à former un tel recours que les associations ayant déposé leurs statuts au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

    8. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a souhaité que les associations qui se créent aux seules fins de s'opposer à une décision individuelle d'occupation ou d'utilisation des sols ne puissent la contester. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d'incertitude juridique qui pèsent sur ces décisions d'urbanisme et prévenir les recours abusifs et dilatoires.

    9. En second lieu, d'une part, les dispositions contestées restreignent le droit au recours des seules associations dont les statuts sont déposés moins d'un an avant l'affichage de la demande du pétitionnaire sur laquelle porte la décision qu'elles entendent contester. D'autre part, cette restriction est limitée aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols.

    10. Par conséquent, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Ce grief doit donc être écarté.

    11. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'association et le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution».

    Cette politique de restriction, dans un objectif de sécurité juridique, marque en tout état de cause un nouveau recul du principe de légalité, dont les associations sont un puissant levier :

    « (…) Si des abus peuvent exister, il ne faut pas perdre de vue que les recours de ces groupements constituent un puissant aiguillon du contrôle de l'administration par le juge. Et telle est bien la raison de la définition très généreuse de l'intérêt à agir en excès de pouvoir, recours qui, selon l'expression du commissaire du gouvernement Pichat, constitue « un instrument mis à la portée de tous pour la défense de la légalité méconnue » (concl. sur CE 8 mars 1912, Lafage, S. 1913.3.1) » (F. Raynaud, P. Fombeur, Qualité pour ester en justice de l'organe tenant des statuts le pouvoir de représenter en justice l'association ou le syndicat, AJDA 1998 p.413).

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

     

    Prise en application de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, l’ordonnance du 15 septembre 2021 a affiché comme objectif de simplifier le droit des sûretés et de renforcer son efficacité tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, ceux des débiteurs et des garants.

    A ce titre, l’ordonnance insère les règles relatives au cautionnement dans le Code civil afin de rétablir un droit commun uniforme en la matière. Il est donc possible de retrouver certaines dispositions du Code de la consommation désormais abrogées au sein du Code civil. 

    Le cautionnement faisait, sous l’empire du droit ancien, l’objet d’un strict encadrement tant par le Code civil que par le Code de la consommation donnant lieu à un abondant contentieux en la matière.

    En effet, afin de garantir sa validité, le cautionnement devait contenir des mentions particulières écrites de la main de la caution et conformes à des modèles légaux impératifs.

    En cas de discordance même minimes avec celui-ci, le cautionnement pouvait être déclaré nul.

    Désormais et depuis le 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur de la réforme, le formalisme du cautionnement a été modifié et simplifié.

    L’exigence de mention concernera la caution personne physique à l’égard de tous les créanciers (qu’ils soient professionnels ou non).

    Conformément à l’article 2297 du Code civil, la caution devra indiquer dans l’acte de cautionnement, « à peine de nullité qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimés en toutes lettres et en chiffre. En cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme écrite en toutes lettres.

    Si la caution est privée des bénéfices de discussion ou de division, elle reconnaît dans cette mention ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions ».

    Le nouvel article 2297 du Code civil ne fait plus allusion à une mention manuscrite mais à une mention apposée par la caution elle-même afin d’intégrer l’éventualité d’un cautionnement par voie électronique.

    Par ailleurs, contrairement à l’ancien régime, le montant de l’engagement de la caution devra être indiqué en chiffres et en lettres.

    Enfin, la durée de l’engagement ne devra pas nécessairement être indiquée, mettant fin à tout débat jurisprudentiel présent sous l’empire de l’ancien régime.

    Cette souplesse acquise par le biais de l’ordonnance du 15 septembre 2021 permettra sans nul doute aux juges d’apprécier la réalité de l’engagement d’une caution en s’éloignant de considérations presque exclusivement formalistes comme il était d’usage auparavant.

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    La Chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme une solution déjà connue des praticiens : un contrat conclu par une société avant son immatriculation est nul.

    Dans l’espèce objet de l’arrêt du 19 janvier 2022, n°20-13.719, une banque avait consenti un prêt à « l’EURL, en cours d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par Mme Y ». La gérante et son époux s’étaient portés cautions solidaires du remboursement du prêt.

    Puis, par un avenant au contrat de prêt postérieur à l’immatriculation de la société, cette dernière avait consenti à la banque un nantissement sur son fonds de commerce.

    La société connaissant des difficultés, la banque a décidé d’actionner le cautionnement de l’époux.

    La Cour d’appel a d’abord condamné l’époux au paiement en considérant que l’épouse avait valablement agi au nom et pour le compte de la société en formation, et que l’avenant signé par la société postérieurement à son immatriculation emportait reprise de l’engagement à son égard.

    La Cour de cassation, sans surprise, censure la décision et rappelle que :

    « En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat de prêt du 20 décembre 2012 avait été conclu, non pas au nom et pour le compte d’une société en cours de formation mais par la société elle-même, avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, ce dont il résultait qu’il était nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de personnalité juridique, et que l’avenant à ce contrat, qui, selon ses propres termes, n’emportait pas novation, n’était pas de nature à couvrir cette nullité absolue, la Cour d’Appel a violé le texte susvisé.».

    Elle réaffirme ainsi une solution déjà connue et confirme que la nullité encourue est absolue.

    Ainsi, la simple mention de « société en cours d’immatriculation » n’est pas suffisante pour permettre à la société une reprise des engagements. Seule la mention « agissant au nom et pour le compte de la société en formation » permet à la société d’être engagée et assure la validité du contrat.

    Les mots sont donc d’une importance cruciale pour la validité du contrat conclu avec une société mais avant son immatriculation.

    En outre, la conclusion d’un avenant postérieur à l’immatriculation de la société est insuffisante pour couvrir la nullité, et n’emporte donc pas engagement de la société pour le contrat conclu avant son immatriculation.

    Cet arrêt envisage une hypothèse qui n’avait pas encore été présentée à la Cour de cassation. Pour mémoire, elle avait déjà jugé que la nullité ne pouvait être couverte par une confirmation de l’acte litigieux ou par une ratification, ou encore par une assemblée. Désormais, il est acquis que la nullité n’est pas non plus couverte par la signature d’un avenant postérieur à l’immatriculation de la société. 

    Cette solution n’est cependant guère surprenante puisque la Cour de cassation ces deux dernières années réaffirme régulièrement sa position stricte et fait le choix de la publication de ses arrêts au bulletin sur ce point (pour le dernier arrêt : Cour de cassation,10 février 2021, n°19-10.006).

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    Crédit dessin: Michel Szalzak

    La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 19 janvier 2022 une décision publiée au bulletin dans laquelle elle décide qu’ « en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est atteint de nullité ».

    Dans cet arrêt dont les faits datent de 2011, le salarié d’une société d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes avait alerté son employeur sur une situation de conflit d’intérêts concernant la société entre ses missions d’expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, situation prohibée par le Code de déontologie de la profession, en soulignant qu’il n’hésiterait pas à saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes s’il ne parvenait pas à discuter de cette question avec son employeur.

    En l’absence de toute réaction de son employeur, ledit salarié a saisi la compagnie régionale des commissaires aux comptes.

    Quatre jours après la saisine de l’organisme, le salarié était licencié pour faute grave.

    Contestant fermement ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de faire constater le caractère nul ou sans cause réelle et sérieuse de celui-ci.

    La Cour d’appel de Paris saisie du litige avait décidé que le licenciement était nul pour violation d’une liberté fondamentale et avait condamné en conséquence l’employeur à payer au salarié des sommes à titre de salaire de mise à pied et congés payés afférents, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et d’indemnité pour licenciement nul.

    La Cour d’appel a notamment reproché à l’employeur le contenu de la lettre de licenciement faisant mention expresse des menaces par le salarié  de saisine de la compagnie régionale des commissaires aux comptes et de mise en œuvre concomitante de la procédure de licenciement avec l’alerte.

    Pour retenir la nullité du licenciement et approuver la décision de la Cour d’appel, la Cour de cassation se fonde sur la liberté d’expression et le droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail.

    La Cour de cassation ainsi que la Cour d’appel viennent une nouvelle fois protéger les salariés lanceurs d’alerte face à la dénonciation de situations pouvant caractériser des manquements à des obligations qui cette fois-ci sont déontologiques. 

    En rendant cette décision, la Cour a implicitement mis en lumière nombre de principes qui animent la protection des salariés et qui étaient inapplicables en l’espèce au vu de l’antériorité des faits.

    En effet, les dispositions de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et de l’article L1132-3-3 du Code de travail protégeant les lanceurs d’alerte n’étaient pas encore en vigueur au moment des faits.

    De la même manière, l’article L1235-3-1 du Code du travail permettant de solliciter la nullité d’un licenciement en raison de la violation d’une liberté fondamentale est issu de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 et de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 et n’est entré en vigueur qu’à compter du 1er avril 2018. 

    La volonté d’une jurisprudence homogène au sujet des lanceurs d’alerte semble dès lors évidente.

     

    PC 2

    Crédit dessin: Michel Szlazak

     

    Par un arrêt du 31 janvier 2022, le Conseil d’Etat juge que le principe de cristallisation des règles d’urbanisme dans un lotissement s’oppose à ce qu’il soit sursis à statuer sur une demande de permis de construire.

    L’article L. 442-14 du code de l’urbanisme dispose :

    « Lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date.

    Lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d'aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l'achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ».

    L’article L. 153-11 du même code dispose :

    « L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable ».

    Le Conseil d’Etat avait déjà assimilé le sursis à statuer à un refus d’autorisation (CE, 9 mars 2016, n° 383060).

    Dans cette logique d’assimilation, par un arrêt du 31 janvier 2022, il juge que le sursis à statuer tombe sous le coup de l’impossibilité de refuser un permis de construire dans le périmètre d’un lotissement, tant que les règles d’urbanisme y sont cristallisées :

    « 4. Il résulte de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme que l'autorité compétente ne peut légalement surseoir à statuer, sur le fondement de l'article L. 424-1 du même code, sur une demande de permis de construire présentée dans les cinq ans suivant une décision de non-opposition à la déclaration préalable de lotissement au motif que la réalisation du projet de construction serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme.

    5. Par suite, après avoir relevé que le maire de Rillieux-la-Pape avait, le 12 avril 2018, pris une décision de non-opposition à la déclaration préalable de lotissement, le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que ce maire avait entaché sa décision d'illégalité en n'opposant pas, le 5 janvier 2019, soit moins de cinq ans après cette décision de non opposition, un sursis à statuer à la demande de permis de construire présentée sur une parcelle du lotissement ainsi autorisé, au motif que le projet litigieux était de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme et de l'habitat de la métropole de Lyon» (CE, 31 janvier 2022, n° 449496).

    Mich AH2207 retablissement

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    L’interdiction de rétablissement sur le fondement de la garantie d’éviction est désormais limitée dans le temps (Cass. Com. 10 novembre 2021, n° 21-11975).

    Si vous vendez votre entreprise, vous devez assurer la possession paisible de cette société à votre acheteur : c’est la définition, simplifiée, de la garantie d’éviction. Elle implique notamment l’interdiction pour le vendeur de se rétablir après la vente et de capter ainsi à nouveau la clientèle vendue.

    Cette garantie est, en matière de cession de titres sociaux, assez rarement actionnée car les cessions sont généralement encadrées par des clauses de non-concurrence qui encadrent plus efficacement les détournements de clientèle.

    Elle reste néanmoins un recours utile en l’absence de clause de non-concurrence ou lorsque le délai fixé par la clause est dépassé.

    Mais dans ce cas, la jurisprudence impose, pour conclure à une interdiction de rétablissement, que « ce rétablissement soit de nature à empêcher les acquéreurs [des actions cédées] de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social » (Cass. Com., 21 janvier 1997, n°94-15207).

    Or, la Cour de cassation vient d’ajouter un autre critère à une demande tendant à l’interdiction de rétablissement sur le fondement de la garantie d’éviction : il faut désormais que l’interdiction de rétablissement soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger, et donc qu’elle soit limitée dans le temps. Les juges sont donc désormais invités à rechercher si l’interdiction de se rétablir se justifiait « encore » au moment des faits reprochés (Cass. Com. 10 novembre 2021, n° 21-11975).

    Les faits de l’espèce semblaient pourtant édifiants : les vendeurs ne contestaient pas avoir rouvert une activité concurrente, récupéré 8% de la clientèle de la société cédée, débauché environ 20% des salariés... oui mais 3 ans après la cession pour le premier vendeur et 4 ans après pour le deuxième. Les magistrats qui se repencheront sur cette affaire devront donc apprécier in concreto si cette durée était suffisante, et si une interdiction de rétablissement si longue ne violerait pas, finalement, la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre.

    Mich AH2205 GroupComm web

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Par un arrêt du 10 janvier 2022, le tribunal des conflits précise qui, du juge administratif ou du juge judiciaire, est compétent pour connaitre des litiges relatifs à la passation d'un marché mêlant acheteurs privés et acheteurs publics.

    Dès lors qu'au moins un acheteur public est présent dans ce groupement, le litige relatif à la procédure de passation du marché ressortit de la compétence du juge administratif.

    Les litiges d'exécution du marché restent en revanche de la compétence du juge judiciaire lorsqu'ils sont purement privés.

    "5. Dans le cadre d'un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l'un d'entre eux le soin de conduire la procédure de passation, et où, l'un des acheteurs membres du groupement étant une personne publique, le marché qu'il est susceptible de conclure sera un contrat administratif par application de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure est le juge administratif, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé" (Tribunal des conflits, 10 janvier 2022, n° C4230).

    Michilus AH2204B Usufruit

    Dessin: Michel Szlazak

    Par cet avis, elle y répond de manière ferme puisqu’elle énonce que « L’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaitre la qualité d’associé » mettant ainsi fin au doute qui subsistait sur le statut de l’usufruitier.

    En effet, la Cour jusqu’à présent avait gardé le silence sur le statut lui-même de l’usufruitier. Les décisions rendues concernaient pour l’essentiel les droits de celui-ci dans le partage des bénéfices.

    La Cour rend son avis au visa de l’article 578 du Code civil qui dispose que :

    « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le propriétaire lui-même mais à charge d’en conserver la substance ».

    Elle en déduit que l’usufruitier n’est pas le propriétaire des parts sociales, puisque cette qualité appartient au nu-propriétaire. Dès lors, et en toute logique, seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé. En revanche, l’usufruitier jouit de la qualité d’associé « comme le propriétaire lui-même ». Il bénéficie ainsi des droits attachés à cette qualité.

    La chambre commerciale en tire les conséquences suivantes : « L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de co-gérant, en application de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales. ».

    Elle affirme ainsi que l’usufruitier est amené à intervenir dans la vie de la société en dehors de la distribution de dividende, mais pour ne pas léser le nu-propriétaire elle pose deux limites :

    -La délibération doit avoir une incidence sur le droit de jouissance des parts sociales ;

    -L’incidence doit être directe.

    S’agissant du premier critère, celui-ci est semble-t-il entendu largement puisque la Cour considère que la délibération doit être « susceptible » d’avoir une incidence sur le droit de jouissance de l’usufruitier. Il n’est donc pas nécessaire de prouver que la délibération a une incidence certaine mais simplement de démontrer qu’elle pourrait en avoir une. En revanche, le second critère semble être entendu plus strictement puisque la Cour précise que l’incidence doit être directe.

    Pour autant, aucune définition ou précision n’est donnée sur la manière dont sera appréciée l’incidence directe.

    Pour avoir plus de précision, il faudra donc attendre la décision de la troisième chambre civile qui avait sollicité cet avis. En l’espèce, provoquer une délibération des associés en vue de la révocation du gérant et la nomination de cogérant nous semble assez éloignée de toute idée « d’incidence directe sur la jouissance des parts sociales de l’usufruitier ». Reste à voir ce que la troisième chambre civile en conclura au vu de la situation qui lui est soumise. La suite au prochain épisode !   

    michilus AH2204 statue

    Dessin: Michel Szlazak

    Déjà, il y a plus de quatre années, un vif débat entourant une statue était né à l’initiative de la Fédération morbihannaise de la Libre Pensée. #Montretacroix, tel avait été le mot-dièse – ou hashtag – que les réseaux sociaux avaient vu apparaître et grâce auquel nombreux avaient été ceux qui s’émurent de la décision du Conseil d’Etat du 25 octobre 2017[1]. Et il vrai qu’en conséquence de ce dernier jugement – ou arrêt, ici –, les juges du Palais-Royal auraient pu craindre d’être jugés selon leurs œuvres, s’ils n’avaient été sûrs de ce qui était écrit dans les livres, non ceux constitutifs de la doctrine de la foi, mais plutôt ceux déterminant les règles de notre droit positif. Ceux-ci, relevant d’une matière ô combien sujette, elle aussi, à l’exaltation des passions, ne laissaient plus guère de place au doute quant à la solution du litige qui a enflammé la commune de Ploërmel. La cause de ce contentieux était alors bien connue, tant elle avait été à la une de l’actualité : elle résidait dans l’installation d’une sculpture monumentale de Jean-Paul II au cœur d’une place éponyme, installation qui opposa une antenne locale de la Fédération de la Libre Pensée – entre autres requérants – à la commune qui avait décidé, suite à une délibération du conseil municipal, d’accepter l’œuvre offerte par son auteur même, Zourab Tsereteli.

    Au mois de décembre dernier, quelques jours avant la célébration de Noël, le tribunal administratif de Nantes, saisi cette fois-ci par Fédération de Vendée de la Libre Pensée dans une affaire aux contours similaires de ceux qui avaient entraîné les émois ci-dessus rappelés, a enjoint au maire de la commune des Sables-d’Olonne de procéder au retrait de la statue de Saint-Michel installée en 2018 sur le parvis de l’église du même nom[2]. Loin d’offrir un débat apaisé, cette décision grandement médiatisée, car rendue dans un temps marqué par des enjeux politiques importants, permet de constater de nouveau que la place du religieux dans l’espace public demeure une source intarissable de conflits sur le territoire national.

    Dans les deux cas, la question d’une éventuelle atteinte au principe de laïcité se posait de fait, en raison de la personnalité même des modèles sculptés – si tant est que l’archange Michel fût une personne –, mais surtout, s’agissant de la statue de Jean-Paul II, en raison de la croix le surplombant, d’une taille au moins équivalente à celle du saint homme représenté.

    Dans cette dernière affaire, le tribunal administratif de Rennes[3] avait en son temps condamné la statue à un démontage, considérant que la croix installée au sommet de l’arche entourant la représentation de Jean-Paul II présentait un caractère ostentatoire en contradiction avec les règles énoncées à la fois par la loi du 9 décembre 1905 et la Constitution, alors que la Cour administrative d’appel de Nantes[4], sans nier l’atteinte au principe de laïcité, avait quant à elle rejeté les demandes de retrait de l’œuvre en raison de la tardiveté du recours formé par les requérants. Dans les deux décisions, les juridictions administratives avaient affirmé que la représentation du 264ème Pape de l’Eglise catholique n’était pas constitutive d’une violation des dispositions législatives ou constitutionnelle consacrant le principe de laïcité ; seule l’était la croix apposée au sommet de l’arche entourant la statue.

    C’était là que résidait toute la spécificité de cette affaire : d’une analyse partagée des faits à l’origine du contentieux, les solutions différèrent en raison d’une interprétation différente de l’illégalité constatée. Pour le juge de première instance, l’installation d’un symbole du christianisme constituait vraisemblablement une illégalité permanente à laquelle il fallait mettre fin, sans délai, l’exposition de l’œuvre s’apparentant à une réitération quasi perpétuelle de la décision de l’implanter sur le domaine public ; à l’inverse, pour les juges d’appel, la mise en place publique de la sculpture de Zourab Tsereteli n’était la conséquence que d’une décision administrative non créatrice de droits précisément identifiable, en l’espèce une délibération du conseil municipal de la commune de Ploërmel du 28 octobre 2006. Pour la Cour, cette délibération illégale dès son édiction étant devenue définitive, il n’était plus envisageable d’en ordonner l’abrogation[5], et les demandes formulées par les requérants les 6 avril et 26 juin 2012, si elles avaient fait naître des décisions implicites de rejet, ne pouvaient avoir pour effet de rouvrir les délais de recours contentieux contre la délibération initiale du conseil municipal, de même qu’elles n’offraient  pas la possibilité à ces mêmes requérants d’invoquer une quelconque exception d’illégalité, la délibération ne présentant pas de caractère réglementaire. La Cour administrative d’appel de Nantes, malgré l’illégalité manifeste constituée par l’implantation de la croix installée au sommet de l’arche, privilégiait donc les règles de la procédure administrative contentieuse, au risque de faire perdurer une ostensible atteinte au principe de laïcité.

    Le Conseil d’Etat, lui, faisant preuve d’une remarquable créativité dans sa décision du 25 octobre 2017, avait réussi à concilier ces deux exigences, ne souhaitant pas de toute évidence laisser passer pareille atteinte : il découvrit ainsi une décision – jusqu’alors introuvable – pour laquelle la forclusion n’était pas acquise et qui concernait la croix mais non la statue (1).

    La statue de Saint-Michel, quant à elle, anciennement installée au cœur de l’école privée Saint-Michel puis déplacée dans un établissement scolaire privée, avait été restaurée par la commune des Sables-d’Olonne avant d’être installée, sur le domaine public communal, sur le parvis de l’église Saint-Michel. On le comprendra aisément, surtout au vu des circonstances de l’installation – une cérémonie religieuse l’a accompagnée –, la dimension religieuse de l’ouvrage ne pouvait être utilement contesté. Toutefois, les juges du tribunal administratif de Nantes auraient pu, peut-être, rendre une tout-autre décision, dans le prolongement de la ligne jurisprudentielle confirmée – davantage qu’initiée – par le Conseil d’Etat en 2017, laquelle faisait alors montre d’une vision constructive du principe de laïcité (2).

     

         1. Avant d’entrer dans le détail des enjeux de la notion même de la laïcité, éclairés par ces deux affaires sur lesquelles le juge administratif s’est penché à quelques années d’intervalles, il convient de rappeler tout l’intérêt de l’arrêt rendu le 25 octobre 2017 pour la procédure administrative contentieuse.

    S’il est rare que la solution d’un litige s’impose sans qu’une quelconque difficulté ne survienne – difficulté quant à l’appréciation des faits constitutifs du contentieux, ou bien difficulté dans l’interprétation des normes applicables –, l’affaire de la statue de Jean-Paul II installée au cœur de la commune de Ploërmel relevait de cet inhabituel phénomène dans lequel l’évidence n’est plus à démontrer. Les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 interdisant, « à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions »[6], la décision d’implanter sur une place publique à la banalité déconcertante une arche surmontée d’une croix allait indubitablement à l’encontre de la lettre du texte législatif. Mais, pour indiscutable qu’elle fût, l’annulation de la décision ordonnant l’installation de la croix ne pouvait être prononcée qu’à la condition qu’elle pût encore faire l’objet, au moment de l’introduction de la requête, d’un recours. Sur ce point précis, la solution retenue par le Conseil d’Etat en 2017 n’était pas, elle, frappée du sceau de l’évidence.

    Le Conseil d’Etat opta en effet pour une solution pour le moins astucieuse, voire audacieuse, pour permettre d’ôter la croix sans condamner l’ensemble de l’œuvre : il considéra que la délibération du conseil municipal de la commune de Ploërmel du 28 octobre 2006 ne portait que sur l’acceptation de la statue de Jean-Paul II, et non sur l’ensemble monumental composé de l’arche surplombant le défunt Pape et de la croix en son sommet. La Haute juridiction confirmait donc le caractère définitif de la délibération, mais seulement en ce qu’elle manifestait la volonté de la collectivité d’accepter la représentation de Jean-Paul II. Concernant l’arche et sa croix, les juges estimèrent que leur implantation relevait d’une autre décision municipale qui, elle, n’avait jamais fait l’objet d’une mesure de publicité, de sorte que les délais de recours n’avaient pu commencer à courir. La deuxième décision était donc contestable. Le Conseil d’Etat put en apprécier la légalité. Il put ainsi conclure à la nécessité du retrait, non de l’arche dans son ensemble, mais seulement de la croix.

    L’artifice jurisprudentiel employé par la juridiction administrative était assez remarquable, en ce qu’il distingue juridiquement plusieurs éléments incontestablement et artistiquement liées. L’artiste, au moment de son geste créatif et créateur, a produit une œuvre une et indivisible, et il n’était guère concevable que celle-ci pût être divisée en de multiples éléments indépendants. Mais il nous semble que le Conseil d’Etat – et ce en dépit des propos tenus par Jean-Marc Sauvé dans un entretien accordé au journal La Croix[7] –, ne voulut pas paraître impuissant face à l’érection de cette croix trismégiste, une inaction de sa part pouvant être perçue, par certains défenseurs de la laïcité, comme un signe de laxisme ou de désintérêt pour ce principe constitutionnellement garanti. Surtout, cette décision avait eu pour effet de transférer la responsabilité du retrait de la sculpture sur l’artiste lui-même qui, vu qu’il n’a pas accepté de bouleverser l’équilibre esthétique de son œuvre, a poussé les autorités communales à une désinstallation pure et simple de celle-ci pour sa réinstallation à une trentaine de mètres sur un terrain acquis par le diocèse.

    C’est ainsi, malgré les critiques virulentes à l’époque, la volonté manifestée par le juge administratif de ménager les règles de la procédure contentieuse et le respect du principe de laïcité, principe à l’égard duquel il adopta une position pour le moins constructive, ne pouvait qu’être saluée.

     

           2. La difficulté qu’avait connue le juge administratif de trouver en 2017 une décision administrative qui pouvait encore faire l’objet d’un recours contentieux constituait, presque a contrario, un exemple topique de la problématique très souvent soulevée par la laïcité en matière de police (précisons ici que la problématique de la police de la conservation du domaine ne peut se poser dans les deux affaires, car si cette police spéciale permet de faire cesser une atteinte au domaine, la question ne peut se poser en ces termes lorsqu’une personne publique gardienne de son domaine est réputée y porter atteinte, l’absence de sanction administrative excluant par ailleurs l’idée d’une contravention de grande voirie).

    La laïcité n’a jamais été une composante de l’ordre public, les plus récentes affaires le suggèrent encore[8], et nul requérant ne pourrait sur ce fondement arguer de l’illégalité par exemple d’un refus, de la part d’une autorité compétente, de mettre en œuvre des mesures destinées à prévenir la survenance d’un péril grave et imminent susceptible de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques[9]. Mais cette question, en de favorables occurrences et envisagée à travers un prisme différent, pourrait peut-être faire naître, un jour, une solution davantage nuancée.

    Le principe de laïcité, permettant essentiellement de structurer l’action publique, ne concerne les administrés qu’en raison de la latitude que celui-ci leur offre pour exprimer librement leurs convictions religieuses, ou autres spiritualités. En ce sens – le Conseil d’Etat le rappelait dans son rapport public de 2004 –, la laïcité française se déclinant « en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme »[10], elle est, fidèle en cela aux dispositions de l’article 18 de la Déclaration de 1789, une garantie à l’exercice de certaines de nos libertés fondamentales. Les atteintes à ce principe ne peuvent donc qu’avoir pour origine, en principe, l’administration elle-même ou des associations cultuelles, de sorte que nous ne pouvons aisément entrevoir les conditions dans lesquelles un individu, ni agent public, ni élu, en dehors du cadre législatif institué par la loi du 15 mars 2004[11], pourrait porter atteinte à un principe institué pour le protéger dans l’exercice d’une de ses libertés. En d’autres termes, si atteinte au principe il y a, celle-ci ne peut qu’être constituée, pour l’essentiel, par une action ou une abstention d’action de la puissance publique, excluant normalement l’idée d’atteinte à un ordre public censément défendu par cette même autorité. Sauf, peut-être, concernant l’une de ses composantes : la dignité de la personne humaine.

    Patrick Frydman rappelait, dans ses propos conclusifs du colloque intitulé « Les vingt ans de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge - À propos de la dignité de la personne humaine », que la dignité de la personne humaine n’était retenue que de manière rare, voire exceptionnelle, en sorte d’« ultime rempart » pour protéger des individus « placés en situation de particulière vulnérabilité »[12]. Pourtant, dans une affaire au moins[13] – peut-être « d’une façon éminemment casuistique »[14] mais qu’importe –, la dimension exclusivement immatérielle de l’atteinte à la dignité de la personne humaine fut retenue en raison de la nature particulière de la sanction pénale afférente, ce qui pourrait amener le juge administratif, pensons-nous – et à l’inverse de l’espèce –, à condamner l’installation d’une œuvre d’art qui pourrait faire l’objet d’une condamnation pénale. Bien entendu, nous ne voyons pas comment l’érection d’une statue célébrant un éminent personnage public, saint au surplus – rappelons que Jean-Paul II fut béatifié le 1er mai 2011, puis canonisé le 27 avril 2014 –, pourrait constituer en elle-même une atteinte à la dignité de la personne humaine, la liberté religieuse n’en étant d’ailleurs pas l’une des composantes. Mais qu’en serait-il, par exemple, sans aller jusqu’à envisager la consécration d’un damné, de l’installation d’un signe religieux ou spirituel davantage polémique ?

    Il nous semble que cette question pourrait être posée, en raison de la solution qui avait été retenue par le Conseil d’Etat lui-même, au point n°15 de la décision du 25 octobre 2017, pour écarter le moyen selon lequel le maire de la commune de Ploërmel était tenu de faire cesser un trouble allégué à l’ordre public qui procèderait de la méconnaissance de la loi du 9 décembre 1905 : l’atteinte n’était pas constituée parce que l’implantation de l’arche en surplomb de la statue ne méconnaissait pas les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ; a contrario, si elle avait été établie, la sanction pénale prévue à l’article 29 de la loi du 9 décembre 1905[15] – une peine de police parmi celles prévues à l’article 463 du code pénal[16] – eût été applicable.

    Nous aurions ainsi pu envisager qu’une autorité compétente pût intervenir pour prévenir ou faire cesser une atteinte aux dispositions de l’article 28, et faire donc cesser l’atteinte matérialisée par l’installation d’un monument religieux, éventualité qui n’est d’ailleurs pas totalement étrangère à la jurisprudence administrative antérieure. En effet, Sophie Boissard, commissaire du gouvernement dans l’affaire Association cultuelle du Varja Triomphant[17], invitait déjà le Conseil d’Etat à retenir, « pour l’application des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, une acception large de la notion d’ordre public recouvrant non seulement, comme en matière de police générale, la sécurité publique, la tranquillité publique, la salubrité publique et la moralité publique […], mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées »[18] – dans le prolongement, sur ce dernier point, de la jurisprudence Ministre de l’Intérieur c/ M. Rakhimov[19].

    Certes, les différences entre cette dernière espèce et celles des statues de Jean-Paul II ou de Saint-Michel sont importantes : dans celle-là,  l’auteur de l’atteinte à la loi du 9 décembre 1905 était une personne morale de droit privé, ce qui offrait à l’autorité de police compétente une entière faculté d’intervention ; dans celles ici commentées, aucune sanction pénale, aujourd’hui, n’est prévue en cas de violation des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, l’article 323 de la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 ayant abrogé l’ensemble des dispositions normatives faisant référence à l’article 463 du code pénal[20].

    Dans le prolongement de cet élément, et à supposer que le moyen eût été soulevé, il aurait été intéressant de connaître la position du juge administratif dans l’affaire de la statue de la Vierge de la commune de Saint-Pierre-d’Alvey, étant donné que l’initiative de la création et de l’installation sur le domaine public de ladite statue faisant alors l’objet du litige avait appartenu exclusivement ou presque – avec l’assentiment de la commune – à des personnes privées[21].

    En tout état de cause, il ne nous paraît pas saugrenu de projeter qu’une évolution jurisprudentielle, s’adaptant aux spécificités rencontrées dans l’arrêt du 25 octobre 2017 voire dans le jugement du 16 décembre dernier, puisse survenir, en autorisant par exemple une autorité de tutelle à faire cesser immédiatement toute atteinte à l’article 28 de la loi au nom de l’ordre public, ou en permettant à chaque administré de demander à l’autorité défaillante d’intervenir elle-même, sans délai, à la manière de ce qui fut en d’autres temps prévu par la jurisprudence Doublet. Pour l’heure, ces hypothèses ne sont que pure fiction juridique, mais le débat nous semble permis.

     

           3. La condamnation de l’installation d’une croix dans le paysage public, et le maintien de la représentation d’un éminent personnage du monde catholique semblait illustrer, en 2017, la manière dont le juge administratif appréhendait les problématiques liées aux questions de laïcité et, en particulier, celles afférentes aux statues et autres effigies : pragmatique voire constructive.

    A l’inverse, celle adoptée par le tribunal administratif de Nantes s’inscrire dans le cadre plus rigoureux tracé dès l’origine par le législateur : au commencement était en effet une autre interprétation, et cette interprétation était stricte, car, comme le spécifiait Aristide Briand dans son rapport à la Chambre des députés, la laïcité marquait l’exclusion tant attendue de l’Eglise des affaires de l’Etat, davantage que l’exclusion de la puissance publique du commerce ecclésiastique[22].

    Cette volonté du législateur de s’extraire de l’emprise de l’Eglise pourrait même, si nous osions le parallèle, s’apparenter à celle manifestée à l’occasion de l’adoption de la loi des 16 et 24 août 1790 ; dans les deux situations, l’administration, dans une acception très large du terme, s’est affranchie de ce qu’elle percevait comme une menaçante tutelle sur son activité (rappelons que l’une des causes de l’adoption de cette loi réside, notamment, dans l’annulation par le juge judiciaire, en juillet 1790, d’une taxe sur le prix du pain établie par la Municipalité de la ville de Soisson, ce qui provoqua un débat animé à la Constituante, le 20 juillet de cette même année, débat au cours duquel l’un des rapporteurs condamna l’attitude du tribunal provincial au motif qu’une telle pratique confondait, de fait, les fonctions administratives et le pouvoir judiciaire, ce qui fit dire à Robespierre, ensuite, qu’on ne pouvait permettre au pouvoir judiciaire d’« entreprises » sur les fonctions de l’administration[23]). De cette volonté qui anima le législateur, le juge administratif tira la conclusion qu’il devait être le garant d’une stricte séparation entre ces diverses autorités, administratives et célestes, mais cela n’a jamais signifié que les relations entre les institutions devaient disparaître. Elles ont au contraire perduré.

    Il est important de rappeler, en ce sens, que les collectivités publiques ont concouru dès le départ, bien qu’indirectement, aux activités cultuelles, les édifices bâtis avant le 9 décembre 1905 demeurant des propriétés publiques, le financement des écoles privées étant rendu possible au lendemain de l’adoption de la loi Debré du 31 décembre 1959, les expositions d’objets ou d’œuvres d’art dans un cadre muséal étant encouragées. Quant à l’exclusion des concours financiers, celle-ci n’est pas absolue, le bail emphytéotique, la garantie d’emprunt ou encore la défiscalisation des dons en sont autant d’exemples. Le législateur, s’il a fixé un cadre au principe de laïcité, a donc tantôt adouci – notons, à propos du financement des écoles privées, que la loi Debré mit fin à une jurisprudence contraire du Conseil d’Etat[24] –, tantôt renforcé[25] les traits en dessinant les contours. Il est ainsi prégnant que si l’interdiction faite aux cultes de s’immiscer dans la conduite des affaires publiques ne fut jamais remise en cause, le législateur a souvent modulé les effets de cette séparation, tout en maintenant cette exigence de neutralité qui garantit la liberté religieuse et le respect du pluralisme.

    Le juge administratif semble aujourd’hui suivre cette tendance, en respectant les limites tracées par le droit positif, mais en s’accordant une marge d’appréciation jusqu’alors inconnue. Des décisions telles que celle rendue par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à propos de la subvention de la venue de Jean-Paul II – déjà – sur le sol français[26], ou encore celle rendue par le Conseil d’Etat au sujet de la subvention locale accordée à l’association « Siva Soupramanien de Saint-Louis »[27], pourraient connaître un sort différent, le juge prenant en compte, désormais, un élément déterminant pour rendre légale une décision administrative baignée de religiosité : l’intérêt public. Cette liberté d’interprétation connaît cependant une limite, celle liée à la neutralité exigée des agents publics, laquelle n’a jamais fait l’objet jusqu’à d’un quelconque assouplissement[28], renforcée d’ailleurs par la Cour européenne des droits de l’homme[29].

    La prise en compte de l’intérêt public pour atténuer la rigueur de l’exigence de la laïcité semble rapprocher la position du juge administratif de celle des juges européens en la matière, bien qu’un parallèle ne puisse que difficilement être établi, tant la notion de laïcité est éloignée des dispositions européennes ou communautaires[30]. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme notamment, en consacrant la liberté de religion, de conscience et de pratique, s’il invite les Etats à ne pas discriminer sur le fondement de croyances, ne les invite en revanche pas à faire preuve de neutralité au sens de la loi de 1905. Ont pu ainsi être sanctionnées des atteintes à la liberté d’exercice d’un culte[31], des ingérences dans le fonctionnement d’un mouvement religieux[32], ou encore des incitations indirectes à croire en une religion déterminée[33], mais ces affaires restent exceptionnelles. Le plus souvent, les juges européens relativisent le caractère attentatoire, par exemple, de l’emploi d’un symbole religieux par la collectivité publique, tant que la liberté de conscience accordée à chacun des citoyens est préservée[34]. Tout est ici question de proportionnalité.

    Les décisions rendues par le Conseil d’Etat en la matière, éclairées en cela par la notion d’intérêt public, tendent ainsi à faire évoluer la nature du contrôle de légalité, contrôle s’apparentant désormais, et d’une certaine manière, à celui du bilan coût-avantage en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique ; le « lemon test » évoquée par Aurélie Bretonneau dans ses conclusions sur l’affaire des crèches municipales en est l’une des illustrations rémanentes[35]. Elle rappelait en effet la nature de ce test pratiqué par les juridictions américaines et, le transposant à nos problématiques nationales, considérait que la limite à l’action publique en matière de neutralité religieuse était essentiellement constituée par la promotion ou la prohibition d’une croyance, ou encore par l’implication excessive d’une collectivité ou d’un organisme public dans les affaires religieuses. De ces éléments de réflexions, le Conseil d’Etat avait alors, pour apprécier la légalité de l’installation litigieuse, examiné quels étaient le contexte et les usages locaux, les conditions et le lieu d’installation, rappelant que ces éléments permettaient de déterminer si la crèche avait un caractère exclusivement cultuel, ou bien si elle revêtait également une dimension culturelle, artistique ou festive[36]. Bien que très contestable et par ailleurs contestée par une partie de la doctrine, cette dernière décision, qui semblait reposer sur des éléments juridiques précis, s’inscrivait en tout état de cause dans le prolongement de la ligne jurisprudentielle esquissée dès 2011[37], laquelle a connu depuis diverses applications qui ont permis de confirmer que l’intérêt public, en ces domaines passionnées, était d’un maniement peu aisé[38].

    Dans les deux affaires que nous proposons d’examiner en une sorte de parallèle, nier le caractère religieux de la représentation de Jean-Paul II ou de Saint-Michel eût été farfelu, mais dans le premier cas l’intérêt historique du personnage prima pour les juges administratifs amenés à se prononcer sur l’affaire, la chose étant loin d’être inédite, puisqu’ils imitèrent par-là leurs prédécesseurs qui avaient confirmé, en d’autres temps, la légalité d’un marché passé par la ville de Lille en vue de la réalisation d’une statue du Cardinal Liénart[39]. La force culturelle, artistique ou historique, si elle permet ainsi de continuer de célébrer des personnages tels que Mazarin ou Saint-Louis, ou encore l’abbé Grégoire, n’autorise pas, en revanche, l’érection d’un symbole religieux pris dans sa singularité, telle la croix qui, elle, ne peut bénéficier d’un quelconque assouplissement jurisprudentiel – sauf exceptions prévues à l’article 28 de la loi de 1905 lui-même[40].

    C’est en ce sens que nous pensons que le jugement du tribunal administratif de Nantes aurait pu être autre : de toute évidence, si l’intérêt historique intrinsèque de l’archange Saint-Michel demeure avant tout fictionnel, il eût été selon nous possible de considérer que la statue en cause présentât un intérêt public, dans les circonstances particulières de l’espèce, dès lors que celle-ci était installée au cœur du quartier Saint-Michel, sur le parvis de l’église Saint-Michel, ce qui pouvait être considéré comme la manifestation d’une tradition locale réitérée – à la différence des circonstances dans lesquelles la cour administrative d’appel de Lyon a rendu son arrêt précité au sujet de la Vierge située sur le domaine public de la commune de Saint-Pierre-d’Alvey, la statue de Saint-Michel présente une historicité et un lien avec la commune des Sables-d’Olonne davantage matérialisé. Il sera ainsi intéressant de voir si les juridictions supérieures probablement saisies garderont la même appréciation que les premiers juges, ou opteront pour une lecture plus constructive de la notion de laïcité de l’espace public au sens des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

    *

    *          *

    Pour conclure, en 2011, le Professeur Touzeil-Divina soulignait déjà le basculement opéré par les juridictions administratives vers une laïcité bienveillante ou, empruntant le qualificatif au Président Sarkozy dans son discours du Latran, repris ensuite à Riyad (dans deux quasi-théocraties), « positive »[41]. Cette notion nouvelle, au terme de laquelle l’Etat n’aurait plus à craindre l’intrusion du fait religieux dans la conduite des affaires publiques, l’autorise en conséquence à transformer ce fait religieux en atout pour la République. Le parallèle avec la notion de discrimination positive semble s’imposer aisément, la laïcité étant un élément de la neutralité, elle-même corollaire de l’égalité, égalité envisagée essentiellement par le juge administratif comme un principe de non-discrimination jusqu’au début des années 1970. Il est intéressant de relever, sur ce point justement, que la systématisation des facultés de discriminer positivement les usagers du service public, instaurée par le Conseil d’Etat en 1974[42], s’inscrivait dans un mouvement politique et sociétal d’ensemble, né aux Etats-Unis et consacré par le droit positif américain par l’Executive Order 10925 du 6 mars 1961 signé par le Président Kennedy, l’écho se répandant ensuite dans notre pays. Nous doutons fortement que la notion de laïcité positive – toute idée de discrimination religieuse mise à part – puisse connaître le même sort, mais nous ne nous interdisons pas de penser que les frémissements jurisprudentiels en un sujet si sensible participent d’un mouvement d’ensemble, de nouveau initié par le politique dans une volonté d’apparence concordataire, de faire de l’Etat un réel acteur face aux enjeux religieux. C’est en ce sens que nous proposerions de substituer, à l’adjectif positif, celui de constructif.

    En définitive, il nous apparaît que cette volonté de transformer les rapports entre l’Etat et le religieux répond, près d’un demi-siècle plus tard, aux attentes exprimées par le IIème concile œcuménique du Vatican en ces termes : vu que « la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. »[43]

    Ou quand les affaires terrestres garantissent les affaires célestes.

     

    [1] CE, 25 octobre 2017, Fédération morbihannaise de la Libre Pensée et autres, n°396990

    [2] TA Nantes, 16 décembre 2021, Fédération de Vendée de la Libre Pensée c/ Commune des Sables d’Olonne, n° 1900981

    [3] TA Rennes, 30 avril 2015, n°1203099, 1204355, 1204356, AJCT 2015, p. 483, obs. Y. Goutal

    [4] CAA Nantes, 12 décembre 2015, n°15NT02053, 15NT02054, AJCT 2016, p. 212, obs. C. Otero

    [5] Règle reprise à l’article L.243-1 du CRPA

    [6] Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, JO du 11 décembre 1905, p.7205

    [7] Edition du 9 novembre 2017

    [8] CE, ord., 26 août 2016, n°402742, Ligue des droits de l’homme, Assoc. de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France, AJDA 2016, p. 1599 ; CE, ord., 26 septembre 2016, n° 403578, Assoc. de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France, AJCT 2016, p. 529

    [9] La traditionnelle jurisprudence Doublet ne trouve donc pas à s’appliquer (CE, 23 octobre 1959, Doublet, Rec. p. 540)

    [10] Un siècle de laïcité, EDCE, 2004, p. 272

    [11] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, JO n°65 du 17 mars 2004, p.5190

    [12] Patrick Frydman, Les vingt ans de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge - À propos de la dignité de la personne humaine, RFDA, 2015, p.1105

    [13] CE, ord., 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508

    [14] Patrick Frydman, op. cit.

    [15] Cet article prévoit expressément que l’élévation ou l’apposition d’un signe ou d’un emblème religieux « sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

    [16] Article 37 de la loi du 9 décembre 1905

    [17] CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Varja Triomphant, n°248467, Rec. t. p. 591

    [18] Sophie Boissard, concl. sur CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Varja Triomphant, AJDA 2004, p.1367

    [19] CE, 3 mars 2003, Ministre de l’Intérieur c/ M. Rakhimov, n° 238662, Rec. p.75

    [20] Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, JO du 23 décembre 1992, p.17568

    [21] CAA Lyon, 29 avril 2021, Commune de Saint-Pierre-d’Alvey, n° 19LY04186

    [22] Aristide Briand, JO Débats annexe n°2302, 2ème séance du 4 mars 1905

    [23] Voir : Jean-Louis Mestre, Introduction historique au droit administratif français, PUF, 1985, 296 p., 1ère partie

    [24] CE, 25 février 1928, Commune de Montfaucon-en-Velay, Rec. p.27

    [25] Par exemple, la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, JO du 17 mars 2004, p.5190

    [26] TA Châlons-en-Champagne, 18 juin 1996, Thierry Come et Association « Agir », n°96442 et 96443

    [27] CE, Sect., Commune de Saint-Louis et association Siva Soupramanien de Saint-Louis, n°94455, Rec. p. 358

    [28] CE, 15 octobre 2003, M. Odent, n°244428, Rec. p. 402 ; CE, 19 février 2009, Bouvier, n°311633, Rec. t. p.813

    [29] CEDH, 26 novembre 2015, Mme Ebrahimian c/ France, n°64846/11, AJDA, 2015, p. 2292

    [30] Sur cette question : Roseline Letteron, Droit européen et laïcité : la diversité des modèles, AJDA, 2017, p.1368

    [31] CEDH, 24 mai 2016, Association « Solidarité avec les Témoins de Jéhovah » c/ Turquie, n°36915/10

    [32] CEDH, gde ch., 26 oct. 2000, Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie, n° 30985/96

    [33] CEDH, gde ch., 18 février 1999, Buscarini et a. c/ Saint-Martin, n°24645/94

    [34] CEDH, gde ch., 18 mars 2011, Lautsi et a. c/ Italie, n°30814/06

    [35] Aurélie Bretonneau, Conclusions sur CE, Ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun, n°395122 et Fédération de la libre pensée de Vendée, n°395223, Rec. p.452

    [36] CE, Ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun, n°395122, point 5

    [37] CE, ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n°308544, Rec, p.370 ; CE, ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et Picquier, n°308817, Rec. p.372 ; CE, ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole, n°309161, Rec. p.393 ; CE, ass., 19 juill. 2011, Commune de Montpellier, n°313518, Rec. p.398

    [38] Sur la légalité d’un financement accordé à la rénovation d’un édifice cultuel : CE, 17 février 2016, n°368342, Région Rhône-Alpes, Rec. p.41 ; sur l’illégalité d’un financement accordé à une manifestation cultuelle : CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et a., n°347049, Rec. p.10

    [39] CE, 25 novembre 1988, Dubois, n°65932, Rec. p.422

    [40] Sur les conditions de maintien d’une croix sur le portail d’un cimetière, voir : CE, avis, 28 juillet 2017, n°408920

    [41] Pour en faire la critique ; Mathieu Touzeil-Divina, Laïcité latitudinaire, Dalloz, 2011, p.2375

    [42] CE, sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n°88032, Rec. p274

    [43] Concile Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae, ch.1 §7, Limites de la liberté religieuse

    Cass. Civ. 3e 20 octobre 2021, n° 19-23.233, 19-26.155, 19-26.156

    La perte de vue et d’ensoleillement entraînée par une construction voisine, peut, lorsqu’elle constitue un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage, entraîner sa démolition.

    L’action en démolition fondée sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage est alors indépendante de l’action fondée sur l’article L.480-13 du code de l’urbanisme.

    Michilus 2203 demolition

    Dessin: Michel Szlazak

    Par arrêté en date du 24 novembre 2008, un particulier obtenait un permis de construire pour l'extension de sa maison d'habitation en limite de propriété, comprenant la création d'un garage et d'une terrasse couverte et le changement de destination du garage existant en habitation.

    A la suite d’un recours exercé par le propriétaire voisin, par jugement du 7 juin 2011, le tribunal administratif de Lyon annulait cet arrêté, ce qu'a confirmé la cour administrative d'appel de Lyon dans arrêt du 19 juin 2012.

    Par arrêté en date du 16 janvier 2013, ce dernier obtenait un nouveau permis de construire afin de régulariser sa construction contre lequel un nouveau recours va être exercé par les voisins qui vont être déboutés par jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 7avril 2016.

    Sur appel interjeté par ces derniers, la cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 12 avril 2018, annulait le jugement du tribunal administratif ainsi que l'arrêté de permis de construire du 16 janvier 2013.

    Elle reprochait au projet d’avoir méconnu la règle relative au retrait des constructions, prévue à l’article UC7 du plan local d’urbanisme qui interdit, sauf dans des cas limitativement énoncés, les constructions en limite séparative (distance de 4 mètres minimum),

    Par acte du 27 février 2013, ses voisins le faisaient assigner devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse aux fins d’obtenir la démolition de l’extension réalisée sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme ainsi que sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.

    Déboutés en première instance ces derniers vont interjeter appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Lyon qui va faire droit à leurs demandes dans un arrêt rendu le 17 septembre 2019.

    En appel, le propriétaire de la construction litigieuse sollicitait de voir écarter la demande de démolition au motif notamment que la construction n'était pas située dans une zone listée au regard de la nouvelle rédaction de l'article 480-13 du code de l'urbanisme issue de la loi du 6 août 2015, que la démolition porterait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale et privée en contravention avec l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et de l'absence de trouble de voisinage.

    La Cour d’appel va rejeter leur demande sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme au motif « qu’il n'est pas allégué que la construction, dont la destruction est demandée, se situe dans une des zones concernées ».

    En revanche elle va juger que l’extension en cause constitue un trouble anormal de voisinage, dès lors que les voisins, qui jouissaient auparavant d’une vue dégagée sur les collines, avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l’ombre à leur piscine, et a condamné le propriétaire voisin à démolir son extension sous astreinte.

    Ce dernier s’est pourvu en cassation, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir fait application de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, relatif à l’action en démolition pour violation des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique.

    Cet article dispose que :

    « Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :

    1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’État dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L. 600-6, si la construction est située dans l’une des zones suivantes : […] ».

    Le propriétaire de la construction litigieuse faisait valoir qu’en application de cet article la démolition ne pouvait être prononcée que dans certains périmètres protégés ou à risque et qu’en l’espèce, il n’était pas allégué que la construction en cause soit dans l’emprise de l’un des périmètres visés.

    La question qui se posait également à la Cour de cassation était celle de savoir si le juge judiciaire pouvait, sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, ordonner la démolition d’une construction réalisée conformément à un permis de construire annulé mais en violation des règles d’urbanisme, et alors que les conditions de l’article L.480-13 n’étaient pas réunies en l’espèce.

    La Cour de cassation va répondre favorablement à cette question et rejeter le pourvoi formé par le propriétaire de la construction litigieuse aux motifs que « les dispositions de l'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme ne s'appliquant qu'aux demandes de démolition fondées sur la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, c'est sans violer ce texte que la cour d'appel, appréciant souverainement les modalités de la réparation du trouble anormal du voisinage qu'elle constatait, a ordonné la démolition de la construction litigieuse ».

    Les hauts magistrats vont relever à l’appui de leur décision que l'extension de la maison avait été construite en limite de propriété, dans une zone de faible densité urbaine, sur une longueur de dix-sept mètres, pour une emprise au sol de soixante-dix mètres carrés et une hauteur de quatre mètres.

    Elle approuve les juges du fond d’avoir constaté qu'au lieu d'une vue dégagée sur les collines les voisins à l’origine du recours devant le juge civil avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l'ombre à leur piscine.

    La cour de cassation va ainsi approuver les juges du fonds d’avoir déduit de ces éléments que la nouvelle construction causait à ces derniers un trouble qui excédait les inconvénients normaux du voisinage, sans qu'il fût besoin de rechercher si une faute avait été commise.

    Deux enseignements sont à tirer de cette décision.

    En premier lieu, un voisin qui estime qu’une construction lui est préjudiciable peut éluder les contraintes posées par l’article L.480-13 du code de l’urbanisme en fondant son action en démolition sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage qui n’exige pas la démonstration d’une faute.

    En second lieu, le juge civil n’hésite pas à ordonner la démolition de l’ouvrage afin de réparer un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage (voir déjà en ce sens une décision rendue par la 3ème chambre civile le 7 décembre 2017, pourvoi n°16-13.309).

    Michilus AH2148 communication web

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    La notification prévue à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme est régulièrement accomplie lorsqu’elle est faite à l'adresse indiquée sur l’arrêté accordant le permis de construire. Toutefois, lorsque le bénéficiaire du permis est une société, cette notification peut être effectuée à une autre adresse, à savoir son siège social.

     CE, 20 octobre 2021, n° 444581

    « 2. Aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de (...) recours contentieux à l'encontre (...) d'un permis de construire, (...) l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. (...) L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt (...) du recours. (...) ". Ces dispositions visent, dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours gracieux ou contentieux dirigé contre elle. Si, à l'égard du titulaire de l'autorisation, cette formalité peut être regardée comme régulièrement accomplie dès lors que la notification lui est faite à l'adresse qui est mentionnée dans l'acte attaqué, la notification peut également être regardée comme régulièrement accomplie lorsque, s'agissant d'une société, elle lui est adressée à son siège social.

    3. Pour juger irrecevable, sur le fondement des dispositions précitées, le recours contentieux formé par M. et Mme N... et M. et Mme C... contre l'arrêté du 29 janvier 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que les requérants n'avaient pas régulièrement satisfait à leur obligation de notifier leur recours gracieux à la société titulaire de l'autorisation contestée en expédiant cette notification à l'adresse de son siège social, située à Issy-les-Moulineaux, et non à l'adresse de son établissement secondaire, située à Angers, figurant sur l'arrêté du 29 janvier 2015 et sur le panneau d'affichage du permis accordé par cet arrêté. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, M. et Mme N... et M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il rejette leur requête (…) »

    Pour faciliter l’accomplissement de la formalité de notification prévue à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat considère celle-ci comme régulièrement accomplie lorsqu’elle l’est aux nom(s) et adresse(s) indiqués sur l’arrêté accordant le permis.

    « 4. Considérant qu'en application des dispositions précitées de l'article R.*600-1, il appartient à l'auteur d'un recours tendant à l'annulation d'un permis de construire d'adresser au greffe de la juridiction copie du certificat de dépôt de la lettre recommandée par laquelle il a adressé copie de son recours à l'auteur de la décision contestée et au titulaire de l'autorisation ; qu'à l'égard de ce dernier, la formalité doit être regardée comme régulièrement accomplie lorsque la notification est faite au titulaire de l'autorisation tel que désigné par l'acte attaqué, à l'adresse qui y est mentionnée » (CE, 4 décembre 2017, n° 407165).

    Tel est le cas même en cas d’erreur ou omission affectant l’arrêté. Ainsi, en cas de pluralité de demandeurs, la notification doit être effectuée à chacun d’entre eux, tels que désignés, avec leur adresse, dans l'acte attaqué (CE, 4 décembre 2017, n° 407165, RDI 2014 p. 362) ; au contraire, le recours n’a pas à être notifié aux demandeurs que l’autorité compétente a omis de mentionner dans l’arrêté (CAA de Lyon, 24 novembre 2020, n° 19LY04648 ; CAA de Marseille, 4 novembre 2020, n° 20MA03821) ; TA de Marseille, 14 mars 2019, n° 1706064), même s’ils n’ont pas manqué de diligence. Les demandeurs conjoints sont donc toujours censés communiquer entre eux (tout comme en cas de refus de permis, l’autorité compétente n’étant pas tenue de notifier ce refus à chacun des demandeurs conjoints : CE, 2 avril 2021, n° 427931).

    Cette même logique de communication prévaut lorsque la notification prévue à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme n’est pas effectuée aux coordonnées figurant sur l’arrêté. Ainsi, dans ce cas, sont également censés communiquer entre eux :

    • les époux non séparés de corps (CE, 7 août 2008, n° 288966) ;
    • le bénéficiaire du permis et la personne pour le compte de laquelle l'autorisation est sollicitée, alors même que son nom n'apparaît ni dans l'acte attaqué, ni dans la demande d'autorisation (CE, 31 décembre 2008, n° 305881).

    A fortiori, sont également censés communiquer entre eux le siège social et les différents établissements d’une même société, en l’occurrence ceux d’un promoteur immobilier titulaire d’un permis de construire. C’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 20 octobre 2021, en considérant que la notification effectuée à ce siège permettait de regarder le bénéficiaire comme informé à bref délai de la formation du recours. Ce qui est bien le cas en théorie, indépendamment des considérations pratiques tenant à la communication plus ou moins efficiente avec les différents services. L’établissement secondaire, dont les coordonnées étaient indiquées sur l’arrêté de permis, n'est pas doté de la personnalité morale, et est réputé communiquer en temps réel avec le siège.

    La solution devrait donc être transposable aux services de l’autorité compétente (à qui le recours doit également être notifié), censés communiquer entre eux avec la même célérité que celle ici attendue de la société bénéficiaire du permis.

    Michilus AH2147 handicap web

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Les travailleurs handicapés peuvent bénéficier d’une pension au taux plein de 50% avant l’âge légal de départ à la retraite à condition qu’ils :

    • Justifient d’une durée d’assurance et de périodes cotisées variables selon leur âge à la date d’effet de leur pension ;
    • Aient été atteints d’une incapacité permanente d’au moins 50% durant l’intégralité des durées d’assurance requises.

    Sous certaines conditions, les agents en situation de handicap peuvent bénéficier d’une retraite personnelle avant l’âge légal.

    Ce dispositif est régi, pour les fonctionnaires, par l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qui dispose :

    « I. – La liquidation de la pension intervient :

    […] 5° Un décret fixe les conditions dans lesquelles l'âge d'ouverture du droit à pension est abaissé, par rapport à un âge de référence de soixante ans, pour les fonctionnaires handicapés qui totalisent, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente d'au moins 50 %, une durée d'assurance au moins égale à une limite fixée par ce décret, tout ou partie de cette durée ayant donné lieu à versement de retenues pour pensions.

    Une majoration de pension est accordée aux fonctionnaires handicapés visés à l'alinéa précédent, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. »

    Aux termes de l’article R. 37 bis du même code :

    « Pour les fonctionnaires handicapés mentionnés au 5° du I de l'article L. 24, l'âge d'ouverture du droit à pension est abaissé :

    1° A cinquante-cinq ans s'ils justifient alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente au moins égale à un taux de 50 %, d'une durée d'assurance au moins égale au nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de pension mentionné au deuxième alinéa du I de l'article L. 13, diminué de 40 trimestres, et d'une durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation à leur charge au moins égale au nombre de trimestres fixé à l'article L. 13, diminué de 60 trimestres ;

    2° A cinquante-six ans s'ils justifient, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente au moins égale à un taux de 50 %, d'une durée d'assurance au moins égale au nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de pension mentionné au deuxième alinéa du I de l'article L. 13, diminué de 50 trimestres, et d'une durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation à leur charge au moins égale au nombre de trimestres fixé par l'article L. 13, diminué de 70 trimestres ;

    3° A cinquante-sept ans s'ils justifient, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente au moins égale à un taux de 50 %, d'une durée d'assurance au moins égale au nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de pension mentionné au deuxième alinéa du I de l'article L. 13, diminué de 60 trimestres, et d'une durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation à leur charge au moins égale au nombre de trimestres fixé par l'article L. 13, diminué de 80 trimestres ;

    4° A cinquante-huit ans s'ils justifient, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente au moins égale à un taux de 50 %, d'une durée d'assurance au moins égale au nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de pension mentionné au deuxième alinéa du I de l'article L. 13, diminué de 70 trimestres, et d'une durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation à leur charge au moins égale au nombre de trimestres fixé par l'article L. 13, diminué de 90 trimestres ;

    5° A cinquante-neuf ans s'ils justifient, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente au moins égale à un taux de 50 %, d'une durée d'assurance au moins égale au nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de pension mentionné au deuxième alinéa du I de l'article L. 13, diminué de 80 trimestres, et d'une durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation à leur charge au moins égale au nombre de trimestres fixé par l'article L. 13, diminué de 100 trimestres.

    Pour bénéficier des dispositions du présent article, le fonctionnaire handicapé produit, à l'appui de sa demande de liquidation, les pièces justifiant de la décision relative à son taux d'incapacité permanente. La liste des pièces justificatives et documents permettant d'attester du taux d'incapacité requis ou d'une situation équivalente du point de vue de l'impact des altérations personnelles de la personne est fixée par l'arrêté mentionné à l'article D. 351-1-6 du code de la sécurité sociale. »

    Il ressort de cet article que, pour bénéficier de ce dispositif, l’agent doit justifier d’une durée de cotisation minimale (A) mais aussi de son handicap (B).

         A. La condition de cotisation

    L’agent doit justifier, depuis la reconnaissance de son handicap, d'une durée d'assurance retraite totale dont une part minimale a donné lieu à cotisations à sa charge. Ces conditions d'assurance retraite minimales à respecter varient en fonction de l’année de naissance de l’agent et de l'âge à partir duquel l’agent souhaite partir en retraite anticipée.

    Par exemple, pour un agent né en 1969 :

    Ainsi, si un agent est né en 1969 et qu’il justifie en 2023 d'une durée d'assurance totale, depuis la reconnaissance de son handicap, d'au moins 130 trimestres, dont au moins 110 ayant donné lieu à cotisations, il pourra partir en retraite anticipée pour handicap à 55 ans.

         B. La condition de handicap

    L’article D. 351-1-6 du code de la sécurité sociale (« CSS ») dispose :

    « Le taux d'incapacité permanente prévu à l'article L. 351-1-3 est celui fixé au deuxième alinéa de l'article D. 821-1.

    L'assuré qui demande le bénéfice des dispositions de l'article L. 351-1-3 produit, à l'appui de sa demande, les pièces justifiant de la décision relative à son taux d'incapacité permanente prononcée par les maisons départementales des personnes handicapées prévues à l'article L. 146-3 du code de l'action sociale et des familles. Un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale fixe la liste des pièces justificatives et documents permettant d'attester du taux d'incapacité requis ou de l'existence de situations équivalentes du point de vue de l'impact des altérations fonctionnelles de la personne concernée, qu'il définit. »

    Il ressort des dispositions de cet article que la justification de la situation de handicap correspond :

    • Soit à la qualité de travailleur handicapé (1) ;
    • Soit à un taux d’incapacité permanente (IP) d’au moins 50% (2) ;
    • Soit à un handicap de niveau comparable au taux d’IP d’au moins 50% (3).

    Dès lors, la situation de handicap peut être démontrée par d’autres moyens que la reconnaissance de travailleur handicapé.

    1. La reconnaissance de travailleur handicapé

    Depuis le 1er janvier 2016, la reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (« RQTH ») n’entre plus en ligne de compte pour la retraite anticipée des travailleurs handicapés.

    Seules les périodes concernant l’année 2015 et les années précédentes restent acquises.

    Ainsi, par exemple, un agent demandant en 2021 de bénéficier du dispositif de retraite anticipée avec une qualité de travailleur handicapé lui ayant été reconnue pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2022 ne pourra démontrer son handicap grâce à la RQTH que sur la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2015.

    1. Le taux d’IP d’au moins 50%

    L’arrêté du 24 juillet 2015 relatif à la liste des documents attestant le taux d'incapacité permanente défini à l'article D. 351-1-6 du CSS définit les justificatifs ou équivalences du taux d’IP de 50%.

    Il peut s’agir, par exemple, de la carte d’invalidité, la décision d’attribution de l’AAH, de la décision accordant une pension d’invalidité etc…

    Les décisions mentionnées ci-dessus (et dans l’arrêté du 24 juillet 2015 précité) ou celles des juridictions de première instance, d’appel ou de cassation sont acceptées si elles accordent à l’agent les allocations ou les cartes susvisées ou si elles les lui refusent mais font état d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 50 %.

    Ces justificatifs doivent mentionner la ou les périodes sur lesquelles ils portent.

    1. Le handicap de niveau comparable au taux d’IP d’au moins 50%

    Lorsque l’agent n’est pas en mesure d’apporter la justification de son handicap pour la totalité de la période concernée, il peut avoir la possibilité de récupérer les justificatifs qui lui font défaut (a) ou se voir reconnaître la réalité de son handicap par une commission spécialisée (b).

    1. La récupération de justificatifs

    L’agent doit s’adresser au secrétariat de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (« CDAPH ») qui, au vu des pièces de son dossier, lui fournit des duplicatas de décisions précisant la ou les périodes de reconnaissance du handicap.

    Une démarche similaire peut être entreprise par l’agent qui ne dispose pas de la totalité des pièces justificatives pour attester d’un handicap équivalent à l’incapacité permanente d’au moins 50 %. L’intervention doit alors être effectuée auprès des organismes concernés (caisse d’assurance maladie, caisse agricole, etc…).

          b. La validation rétroactive de périodes de handicap par une commission nationale

    Lorsque l’agent n’est pas en mesure d’apporter les justificatifs administratifs relatifs à son handicap sur une partie de la durée d’assurance requise, il peut faire reconnaître son incapacité par une commission nationale.

    Cette possibilité de reconnaissance du handicap de façon rétroactive est soumise à trois conditions cumulatives :

    • L’agent doit justifier de la durée totale d’assurance et de la durée cotisée requises pour l’ouverture des droits à la retraite anticipée (voir ci-dessus point A) ;
    • La période dépourvue de justificatifs ne doit pas être égale à plus de 30% de la durée d’assurance requise ;
    • L’agent doit justifier qu’à la date à laquelle il demande à faire valoir ses droits à la retraite anticipée, il est atteint d’une incapacité permanente d’au moins 80%.

    Si les trois conditions sont réunies, l’agent doit saisir, à travers son département de ressources humaines, sa caisse de retraite en lui transmettant :

    • Un courrier précisant la ou les périodes concernées ;
    • La décision de la MDPH justifiant son taux d'incapacité d'au moins 80 % à la date de sa demande de retraite ;
    • Le dossier médical, sous pli fermé portant la mention confidentiel-secret médical permettant de justifier son taux d'incapacité au cours de la ou des périodes à valider.

    La commission nationale sera alors saisie pour examiner sa situation et lui rendra sa décision.

    Dans ces conditions, il est conseillé aux agents de la fonction publique de rassembler les justificatifs valides et de faire les démarches pour justifier de toutes les conditions d’application du dispositif au plus tôt, pendant leur carrière.

    Dessin 12.11.2021

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Par deux arrêts en date du 13 octobre 2021, la Cour de cassation a aligné sa position sur celle de la Cour de justice de l’Union Européenne, en considérant que le simple dépôt d’une marque ne pouvait constituer à lui seul un acte de contrefaçon. Il y aura lieu désormais de vérifier l’existence d’autres critères tels que l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou services similaires à celui qui se plaint de la contrefaçon, ou encore le risque de confusion dans l’esprit du public.

    La contrefaçon est définie par l’institut national de la propriété industrielle comme la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire.

    La contrefaçon peut toucher indifféremment une marque, un modèle, un brevet, un droit d’auteur, un logiciel, un circuit intégré ou une obtention végétale.

    S’agissant des marques, la jurisprudence interne était jusqu’à présent hésitante quant à la question de savoir si le simple dépôt d’une marque reproduisant une marque antérieure, sans usage effectif dans le monde des affaires, était de nature à constituer un acte de contrefaçon[1].

    La Cour de cassation avait jusqu’à présent une interprétation des articles L713-2, L713-3 et L716-1 du Code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, lui permettant de considérer que le simple fait de déposer une marque identique ou similaire à une marque antérieure était susceptible de constituer un acte de contrefaçon.

    En effet, le dépôt de la marque contrefaisante était perçu comme une atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque antérieure causant nécessairement un dommage. [2]

    Toutefois, par deux arrêts en date du 13 octobre 2021, la Cour de cassation a changé de position et a considéré que le seul dépôt d’une marque ne pouvait constituer un acte de contrefaçon.

    Ce revirement s’explique au regard des jurisprudences rendues par la Cour de justice de l’Union européenne qu’elle cite par ailleurs dans les deux arrêts susmentionnés.

    En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que « le titulaire d’une marque enregistrée ne peut interdire l’usage par un tiers d’un signe similaire à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait sans le consentement du titulaire de la marque, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service »[3].

    La Cour de cassation considère ainsi désormais qu’une demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe.

    De même, la Cour indique qu’en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire.

    La Cour de cassation affirme désormais clairement que « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon » et que le moyen qui postule le contraire n’est pas fondé.

    A présent, il sera nécessaire de tenir compte des différents critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne afin de déterminer si le dépôt de marque est ou non constitutif d’une contrefaçon.

    Les deux décisions du 13 octobre 2021 permettent une harmonisation des jurisprudences internes sur ce sujet à l’origine de vifs débats.

     

    [1] TGI de Paris, 3ème chambre, 22 septembre 2017 n°2016/04325 et en sens contraire v. TGI de Paris, 3ème chambre, 19 octobre 2017 n°2016/00937

    [2] Com. 24 mai 2016 n°14-17.533

    [3] CJUE 3 mars 2016, Daimler, aff. C-179/15, points 26 et 27

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Dans un arrêt du 10 juin 2021[1] la deuxième chambre de la Cour de cassation a défini les critères d’appréciation à appliquer par les juges du fond lorsque le droit d’établir ou de conserver une preuve avant tout procès se heurte au secret des affaires.

    Pour mémoire, l’article 145 du Code de procédure civile dispose que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé. »

    La Cour de cassation avait déjà établi que la demande de mesure d’instruction devait reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables, qui permettaient de projeter un litige futur comme plausible et crédible. Ainsi, la mesure sollicitée doit être légalement admissible et ne doit pas être demandée dans le seul objectif de contourner un secret légitime comme le secret des affaires.

    La haute juridiction ajoute que : « Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». 

    La protection du secret des affaires est un droit consacré par l’article L. 151-1 du Code de commerce qui définit le secret comme : « toute information répondant aux critères suivants :

    1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

    2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

    3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

    Ainsi, placé devant un conflit entre le droit de la preuve et un secret d’affaires, le juge du fond devra procéder à une double vérification : l’existence d’un motif légitime et la proportionnalité des mesures envisagées.

    Il en résulte que les mesures d’investigation générale sont exclues.

    Dans l’arrêt commenté, une société soupçonnant des actions de concurrence déloyale et de dénigrement de la part de plusieurs concurrents, avait sollicité du Juge des Référés des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. Le premier juge et les juges d’appel ont fait droit à la demande d’instruction, en relevant que les mesures ordonnées ne ciblaient ni des documents personnels, ni des documents couverts par un secret d'ordre professionnel ou médical et qu’il s’agissait de recourir à des mots-clés pour découvrir l'identité des auteurs des messages dénigrants. Deux sociétés visées par ces ordonnances ont alors formé un pourvoi en cassation, notamment au motif de la violation du secret des affaires.

    Dans son arrêt, la Cour de cassation a considéré qu’il ne ressortait pas de l’arrêt de la Cour d’appel que les mesures d’instruction avaient été suffisamment circonscrites dans le temps et dans leur objet et que « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves ».

    L’arrêt est donc cassé pour défaut de base légale.

    Face à ce contrôle renforcé, il appartient donc aux avocats confrontés au secret des affaires de rédiger une requête in futurum avec précision et une motivation particulière, de circonscrire les mesures demandées à ce qui est strictement nécessaire et de les limiter dans le temps.

     (1) Cass. Civ. 2ème, 10 juin 2021, 20-11.987

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Le gouvernement a publié un décret n°2021-1227 en date du 23 septembre 2021 qui permet désormais aux architectes et aux sociétés d’architectures de réaliser les audits énergétiques dans les bâtiments à usage principal d’habitation en copropriété éligibles à "MaPrimeRénov".

    Lancée depuis le 1er janvier 2020, et renforcée dans le cadre du Plan de relance de l’économie du 1er octobre 2020, "MaPrimeRénov'" est une aide énergétique qui remplace notamment le crédit d’impôt pour la transition énergétique.

    Versée sous forme de prime de transition énergétique, elle bénéficie à tous les propriétaires, qu’ils soient occupants ou non occupants, ainsi qu’aux copropriétés qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation énergétique (isolation, chauffage, ventilation) ou faire réaliser un audit énergétique d’une maison individuelle ou d’un appartement en habitat collectif hors les cas où la réglementation les rend obligatoires.

    Cet audit énergétique doit être réalisé par un auditeur qualifié. Le décret n° 2018-416 du 30 mai 2018 précise les conditions de leur qualification.

    Auparavant, seuls les architectes exerçant à titre libéral et ayant suivi une formation continue d’au moins quatre jours, de type FeeBat 5A-5 B, DynaMOE ou équivalent pouvaient réaliser pour le compte de particuliers des audits énergétiques de maisons individuelles entrant dans le dispositif "MaprimeRénov’".

    Ce texte autorise désormais les sociétés d’architectures à réaliser des audits énergétiques MaPrimeRénov’ de maisons individuelles à la condition qu'au moins un des architectes associés ait suivi la formation requise pour les architectes libéraux.

    Autre apport de ce Décret, cette possibilité est également offerte en matière de logements collectifs à usage d’habitation. Toujours sous condition de formation, les architectes libéraux et les sociétés d'architecture pourront dorénavant réaliser l'audit énergétique des copropriétés qui remplissent les conditions d’éligibilité au dispositif MaPrimeRénov’.

    L’ordre des architectes qui attendait ce Décret depuis plusieurs mois se félicite de la publication de ce Décret « essentiel pour mettre un terme à une discrimination injustifiée entre architectes libéraux et sociétés d’architecture ». Il estime par ailleurs que ce nouveau dispositif « va aussi permettre de décupler le nombre d’architectes référencés sur le site faire.fr, témoignant ainsi de l’intérêt de la profession pour le sujet de la rénovation énergétique ».

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Par un arrêt n° 442182 du 6 octobre 2021, le Conseil d'Etat rappelle les obligations du demandeur et de l'administration, et précise celles du juge.

         I/ Obligations du demandeur

    Le Conseil d’Etat rappelle que « Lorsqu'une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment. De même, lorsqu'une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l'objet de transformations sans les autorisations d'urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l'édifice réalisée sans autorisation » (voir également CE, 30 décembre 2020, n° 432421, ainsi que les jurisprudences de La Marque et Thalamy : CE, 16 mars 2015, n° 369553, CE, 9 juillet 1986, n° 51172).

    Le demandeur est donc tenu de présenter une demande portant à la fois sur les nouveaux travaux envisagés et sur l’ensemble des travaux réalisés sans autorisation. Toutefois, dans le cas de travaux n’ayant pas respecté l’autorisation obtenue, cette exigence ne s’applique pas lorsque l’autorité compétente a omis de contester la conformité de ces travaux à la suite de la réception de la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux (CE, 26 novembre 2018, n° 411991).

         II/ Obligations de l’administration

    Le Conseil d’Etat rappelle que « Dans l'hypothèse où l'autorité administrative est saisie d'une demande qui ne satisfait pas à cette exigence [de présenter une demande portant également sur la régularisation des travaux réalisés illégalement], elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation ».

    Le Conseil d’Etat rappelle toutefois que cette invitation n’est pas un préalable nécessaire à peine d’illégalité du refus d’une demande qui ne satisfait pas à ladite exigence :

    « Cette invitation, qui a pour seul objet d'informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s'il entend poursuivre son projet, n'a pas à précéder le refus que l'administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés ».

    Dans un précédent arrêt, le Conseil d’Etat avait jugé que l’absence d’une telle invitation n’était pas privative d’une garantie (CE, 30 décembre 2020, n° 432421).

         III/ Obligations du juge

    Le Conseil d’Etat précise qu’un permis de construire délivré sur une demande ne satisfaisant pas à cette exigence doit faire l’objet d’une annulation totale.

    En effet, le juge saisi d’un recours contre ce permis ne peut ni surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation de celui-ci, ni procéder à une annulation partielle :

     « (…) Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

    6. Toutefois, lorsque l'autorité administrative, saisie dans les conditions mentionnées au point 2 d'une demande ne portant pas sur l'ensemble des éléments qui devaient lui être soumis, a illégalement accordé l'autorisation de construire qui lui était demandée au lieu de refuser de la délivrer et de se borner à inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l'ensemble des éléments ayant modifié ou modifiant la construction par rapport à ce qui avait été initialement autorisé, cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ou d'une annulation partielle en application de l'article L. 600-5 du même code (…) ».

    En effet, comme l’a précisé le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, une demande d’autorisation qui ne satisfait pas à cette exigence est considérée comme une demande tronquée, ne se prêtant pas à cette logique de régularisation.