Actualités

    mercredi, 01 mars 2023 08:26

    Pas d’excuse à la modification illégale du délai d’instruction : le permis tacite est de retour

    Écrit par

    L'illégalité d'une décision de modification du délai d’instruction fixant un délai inapplicable a pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’un permis tacite, a jugé le tribunal administratif de Marseille.

     

    permis tacite

    L’illégalité des mesures d’instruction prises par l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme bénéficiait, jusqu’à récemment, d’une relative innocuité. Ainsi, une demande de pièces complémentaires infondée ne rendait pas le demandeur titulaire d’un permis tacite (CE, 90 décembre 2015, n° 390273), pas plus qu’une prolongation illégale du délai d’instruction (CAA de Marseille, chambre réunies, 5 avril 2017, n° 15MA01348).

    Cette innocuité a connu un net recul, illustré par le (déjà célèbre) arrêt « commune de Saint-Herblain », rendu le 9 décembre 2022 par le Conseil d’Etat. Celui-ci a jugé que, à la suite des modifications des articles L. 423-1 et R. 423-41 du code de l’urbanisme opérées par la loi du 23 novembre 2018 (dite « loi ELAN ») et le décret du 21 mai 2019 pris pour son application, l'illégalité d'une demande tendant à la production d'une pièce qui ne peut être requise a désormais pour effet de rendre le demandeur titulaire d'une autorisation tacite :

    « 4. (…) Aux termes de l'article R. 423-41 du même code dans sa rédaction issue du décret du 21 mai 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'urbanisme pris pour l'application de la loi du 23 novembre 2018 : " Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d'un mois prévu à l'article R*423-38 ou ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le présent code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction définis aux articles R*423-23 à R*423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R*423-42 à R*423-49. ". Enfin, l'article R. 424-1 du même code prévoit qu'à défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction, déterminé comme il vient d'être dit, le silence gardé par l'autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable.

    5. Il résulte de ces dispositions qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle» (CE, 9 décembre 2022, n° 454521).

    Cette innocuité connait aujourd’hui un nouveau recul, selon le tribunal administratif de Marseille, qui a jugé que la modification illégale du délai d’instruction a elle aussi pour effet de rendre le demandeur titulaire d'une autorisation tacite :

    « 2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 424-2 du code de l'urbanisme : « Le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction. ». Aux termes de l’article R. 423-23 de ce code : « Le délai d'instruction de droit commun est de : / (…) / c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d'aménager ». Aux termes de l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme : « Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du présent livre, l’autorité compétente, dans le délai d’un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur ou à l’auteur de la déclaration une lettre recommandée avec demande d’avis de réception (…) indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes ». Aux termes de l’article R. 423-39 du même code : « L’envoi prévu à l’article R. 423-38 précise : / a) Que les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception ; / b) Qu’à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet en cas de demande de permis (…) ;/ c) Que le délai d’instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie ». Aux termes de l’article R. 423-19 du code de l’urbanisme : « Le délai d'instruction court à compter de la réception en mairie d'un dossier complet ». Aux termes de l’article R. 423-24 du même code : « Le délai d'instruction de droit commun prévu par l'article R. 423-23 est majoré d'un mois : a) lorsque le projet est soumis, dans les conditions mentionnées au chapitre V, à un régime d’autorisation ou à des prescriptions prévues par d’autres législations ou réglementations que le code de l’urbanisme (…) c) Lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques ; ».

    3. Il résulte de ces dispositions qu’en l’absence de notification d’une décision expresse de l’administration, d’une demande de pièces complémentaires ou d’une notification de majoration, de prolongation ou de suspension du délai d'instruction, un permis de construire tacite naît à l’issue d’un délai de trois mois suivant le dépôt de la demande, lorsque celle-ci porte sur un immeuble autre qu’une maison individuelle au sens du titre III du livre II du code de la construction et de l'habitation.

    4. En application de ces dispositions, le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle.

    5. En l’espèce, la société… a déposé une demande de permis de construire le 30 septembre 2020. Le service instructeur a formulé une demande de pièces complémentaires le 27 octobre 2020, dans le délai prescrit d’un mois, auquel a répondu la société… le 1er décembre 2020, date à laquelle le dossier est réputé complet. Si par ledit courrier du 27 octobre 2020, la commune a opposé au constructeur une prorogation de délai d’un mois en application de l’article R. 423-4 du code de l’urbanisme dont elle ne conteste pas l’illégalité, cette erreur a pour conséquence de rendre inopposable au pétitionnaire le délai d’instruction modifié. Le délai d’instruction étant de trois mois, la société… est fondée à soutenir qu’elle était titulaire d’un permis de construire tacite depuis le 1 er mars 2020 que l’arrêté attaqué a eu pour effet de retirer» (TA de Marseille, 6 février 2023, n° 2103735).