Focus sur l’arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la 3e chambre de la Cour de cassation (Pourvoi n° 21-20.885)
Voilà une décision qui, certainement, soulagera aussi bien les juridictions civiles, en proie à un véritable engorgement depuis l’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 16 janvier 2020 (n°18-25.915), que les praticiens du droit de la construction.
Pour mémoire, dans cet arrêt, la Cour de cassation avait jugé que « le délai de la prescription de ce recours et son point de départ ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil [puisque] ce texte, créé par la loi du 17 juin 2008 et figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants ».
Il en résultait que le délai de prescription du recours d’un constructeur contre un autre constructeur commençait à courir à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
La solution dégagée par la Cour de cassation dans son arrêt précité du 16 janvier 2020 obligeait les constructeurs assignés en référé-expertise avant procès à introduire un recours en garantie contre les autres intervenants dans le but d’interrompre la prescription, alors même qu’ils n’avaient pas été assignés en paiement par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage.
Cette jurisprudence vivement critiquée par une partie de la doctrine et des praticiens du droit de la construction vient de connaître un véritable revirement.
La Cour de cassation, reconnaissant que « la multiplication de ces recours préventifs, qui nuit à une bonne administratif de la justice » a expressément décidé de modifier sa jurisprudence.
Désormais, l’assignation ne constituera le point de départ du délai de prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti des condamnations que si elle est accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision.
Si l’on peut se réjouir d’une telle avancée, il reste à garder à l’esprit que l’assignation en référé-provision, dès lors qu’elle constitue une demande de reconnaissance d’un droit demeure soumise à l’ancienne jurisprudence rendue par la Cour de cassation le 16 janvier 2020 (n°18-25.915).
Crédit dessin: Michel Szlazak
La loi d'orientation des mobilités n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 a modifié l’article 24-5 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis en y intégrant l’obligation pour les syndics d’inscrire à l’ordre du jour de l'assemblée générale des copropriétaires avant le 1er janvier 2023 la question de la réalisation d'une étude portant sur l'adéquation des installations électriques existantes aux équipements de recharge et, le cas échéant, les travaux à réaliser à cet effet (article 24-5 III).
La décision de faire réaliser cette étude de faisabilité devra être approuvée par l’assemblée générale à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance (article 24 II i).
L’objectif est de permettre aux copropriétaires de faire la lumière sur les capacités des installations électriques existantes de leur immeuble et les travaux plus ou moins importants que nécessitera la mise en place d’équipements de recharge.
Voilà qui devrait compléter les bonnes résolutions pour 2023…
Crédit dessin: Michel Szlazak
Par trois arrêts rendus le 30 juin 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a mis fin à l’incertitude qui entourait le paiement des loyers des baux commerciaux pendant la période de la crise sanitaire.
Elle affirme avec force que le bailleur ne manque pas à son obligation de délivrance et que le preneur ne peut se prévaloir de la force majeure pour échapper à ses obligations pécuniaires pendant la période du covid 19.
Elle souligne que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire ne sont pas imputables au bailleur et n’emportent pas perte de la chose que le bailleur ne manque pas à son obligation de délivrance si l’impossibilité d’exploiter résulte d’une mesure générale de police administrative. Dès lors, le mécanisme de l’exception d’inexécution fréquemment invoqué par les preneurs est inopérant.
Cette solution est dans la droite ligne de sa jurisprudence, puisque si la Cour de cassation entend largement la notion de délivrance, son utilisation permet de mettre à la charge du bailleur les travaux rendus nécessaires à l’affectation du local prévue au contrat. Or, la fermeture des commerces dits non-essentiels par décision gouvernementale ne relève pas de l’état de l’immeuble, ni d’ailleurs de la volonté du bailleur, et ce dernier n’a aucune prise dessus.
Enfin, elle clarifie l’utilisation de la force majeure invoquée par les preneurs. Ici, il ne s’agissait pas pour le preneur de prétendre avoir été empêché de payer le loyer, mais plutôt d’en être dispensé car il avait été empêché de jouir du local. Cela revenait, par un moyen détourné à atteindre le même résultat que celui qui aurait pu être obtenu avec l’exception d’inexécution. La Cour de cassation rejette le raisonnement.
Ces différentes solutions sont certainement motivées par les dispositifs d’aide mis en place par l’état au bénéfice des commerces. D’ailleurs les différents avis rendus par l’avocat général, contextualisent de manière assez précise les effets des différentes mesures sur l’activité du commerce et la part du loyer dans les charges des commerçants. La solution, aurait pu être différente si le dispositif des aides n’avait pas été aussi efficace.
Cass. Civ. 3e 20 octobre 2021, n° 19-23.233, 19-26.155, 19-26.156
La perte de vue et d’ensoleillement entraînée par une construction voisine, peut, lorsqu’elle constitue un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage, entraîner sa démolition.
L’action en démolition fondée sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage est alors indépendante de l’action fondée sur l’article L.480-13 du code de l’urbanisme.
Dessin: Michel Szlazak
Par arrêté en date du 24 novembre 2008, un particulier obtenait un permis de construire pour l'extension de sa maison d'habitation en limite de propriété, comprenant la création d'un garage et d'une terrasse couverte et le changement de destination du garage existant en habitation.
A la suite d’un recours exercé par le propriétaire voisin, par jugement du 7 juin 2011, le tribunal administratif de Lyon annulait cet arrêté, ce qu'a confirmé la cour administrative d'appel de Lyon dans arrêt du 19 juin 2012.
Par arrêté en date du 16 janvier 2013, ce dernier obtenait un nouveau permis de construire afin de régulariser sa construction contre lequel un nouveau recours va être exercé par les voisins qui vont être déboutés par jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 7avril 2016.
Sur appel interjeté par ces derniers, la cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 12 avril 2018, annulait le jugement du tribunal administratif ainsi que l'arrêté de permis de construire du 16 janvier 2013.
Elle reprochait au projet d’avoir méconnu la règle relative au retrait des constructions, prévue à l’article UC7 du plan local d’urbanisme qui interdit, sauf dans des cas limitativement énoncés, les constructions en limite séparative (distance de 4 mètres minimum),
Par acte du 27 février 2013, ses voisins le faisaient assigner devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse aux fins d’obtenir la démolition de l’extension réalisée sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme ainsi que sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.
Déboutés en première instance ces derniers vont interjeter appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Lyon qui va faire droit à leurs demandes dans un arrêt rendu le 17 septembre 2019.
En appel, le propriétaire de la construction litigieuse sollicitait de voir écarter la demande de démolition au motif notamment que la construction n'était pas située dans une zone listée au regard de la nouvelle rédaction de l'article 480-13 du code de l'urbanisme issue de la loi du 6 août 2015, que la démolition porterait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale et privée en contravention avec l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et de l'absence de trouble de voisinage.
La Cour d’appel va rejeter leur demande sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme au motif « qu’il n'est pas allégué que la construction, dont la destruction est demandée, se situe dans une des zones concernées ».
En revanche elle va juger que l’extension en cause constitue un trouble anormal de voisinage, dès lors que les voisins, qui jouissaient auparavant d’une vue dégagée sur les collines, avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l’ombre à leur piscine, et a condamné le propriétaire voisin à démolir son extension sous astreinte.
Ce dernier s’est pourvu en cassation, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir fait application de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, relatif à l’action en démolition pour violation des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique.
Cet article dispose que :
« Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :
1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’État dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L. 600-6, si la construction est située dans l’une des zones suivantes : […] ».
Le propriétaire de la construction litigieuse faisait valoir qu’en application de cet article la démolition ne pouvait être prononcée que dans certains périmètres protégés ou à risque et qu’en l’espèce, il n’était pas allégué que la construction en cause soit dans l’emprise de l’un des périmètres visés.
La question qui se posait également à la Cour de cassation était celle de savoir si le juge judiciaire pouvait, sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, ordonner la démolition d’une construction réalisée conformément à un permis de construire annulé mais en violation des règles d’urbanisme, et alors que les conditions de l’article L.480-13 n’étaient pas réunies en l’espèce.
La Cour de cassation va répondre favorablement à cette question et rejeter le pourvoi formé par le propriétaire de la construction litigieuse aux motifs que « les dispositions de l'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme ne s'appliquant qu'aux demandes de démolition fondées sur la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, c'est sans violer ce texte que la cour d'appel, appréciant souverainement les modalités de la réparation du trouble anormal du voisinage qu'elle constatait, a ordonné la démolition de la construction litigieuse ».
Les hauts magistrats vont relever à l’appui de leur décision que l'extension de la maison avait été construite en limite de propriété, dans une zone de faible densité urbaine, sur une longueur de dix-sept mètres, pour une emprise au sol de soixante-dix mètres carrés et une hauteur de quatre mètres.
Elle approuve les juges du fond d’avoir constaté qu'au lieu d'une vue dégagée sur les collines les voisins à l’origine du recours devant le juge civil avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l'ombre à leur piscine.
La cour de cassation va ainsi approuver les juges du fonds d’avoir déduit de ces éléments que la nouvelle construction causait à ces derniers un trouble qui excédait les inconvénients normaux du voisinage, sans qu'il fût besoin de rechercher si une faute avait été commise.
Deux enseignements sont à tirer de cette décision.
En premier lieu, un voisin qui estime qu’une construction lui est préjudiciable peut éluder les contraintes posées par l’article L.480-13 du code de l’urbanisme en fondant son action en démolition sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage qui n’exige pas la démonstration d’une faute.
En second lieu, le juge civil n’hésite pas à ordonner la démolition de l’ouvrage afin de réparer un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage (voir déjà en ce sens une décision rendue par la 3ème chambre civile le 7 décembre 2017, pourvoi n°16-13.309).
Crédit dessin: Michel Szlazak
Le gouvernement a publié un décret n°2021-1227 en date du 23 septembre 2021 qui permet désormais aux architectes et aux sociétés d’architectures de réaliser les audits énergétiques dans les bâtiments à usage principal d’habitation en copropriété éligibles à "MaPrimeRénov".
Lancée depuis le 1er janvier 2020, et renforcée dans le cadre du Plan de relance de l’économie du 1er octobre 2020, "MaPrimeRénov'" est une aide énergétique qui remplace notamment le crédit d’impôt pour la transition énergétique.
Versée sous forme de prime de transition énergétique, elle bénéficie à tous les propriétaires, qu’ils soient occupants ou non occupants, ainsi qu’aux copropriétés qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation énergétique (isolation, chauffage, ventilation) ou faire réaliser un audit énergétique d’une maison individuelle ou d’un appartement en habitat collectif hors les cas où la réglementation les rend obligatoires.
Cet audit énergétique doit être réalisé par un auditeur qualifié. Le décret n° 2018-416 du 30 mai 2018 précise les conditions de leur qualification.
Auparavant, seuls les architectes exerçant à titre libéral et ayant suivi une formation continue d’au moins quatre jours, de type FeeBat 5A-5 B, DynaMOE ou équivalent pouvaient réaliser pour le compte de particuliers des audits énergétiques de maisons individuelles entrant dans le dispositif "MaprimeRénov’".
Ce texte autorise désormais les sociétés d’architectures à réaliser des audits énergétiques MaPrimeRénov’ de maisons individuelles à la condition qu'au moins un des architectes associés ait suivi la formation requise pour les architectes libéraux.
Autre apport de ce Décret, cette possibilité est également offerte en matière de logements collectifs à usage d’habitation. Toujours sous condition de formation, les architectes libéraux et les sociétés d'architecture pourront dorénavant réaliser l'audit énergétique des copropriétés qui remplissent les conditions d’éligibilité au dispositif MaPrimeRénov’.
L’ordre des architectes qui attendait ce Décret depuis plusieurs mois se félicite de la publication de ce Décret « essentiel pour mettre un terme à une discrimination injustifiée entre architectes libéraux et sociétés d’architecture ». Il estime par ailleurs que ce nouveau dispositif « va aussi permettre de décupler le nombre d’architectes référencés sur le site faire.fr, témoignant ainsi de l’intérêt de la profession pour le sujet de la rénovation énergétique ».
Crédit dessin: Michel Szlazak
Un arrêté du 30 juillet 2021, publié au journal officiel le 9 septembre 2021 précise désormais le format et le contenu de la fiche d'information relative au prix et aux prestations proposées par le syndic.
Depuis une ordonnance n° 2021-1101 du 30 octobre 2019 portant réforme de la copropriété des immeubles bâtis, lorsque le conseil syndical met en concurrence plusieurs projets de contrats de syndic, ces derniers doivent être accompagnés d'une fiche d'information sur le prix et les prestations proposées.
Ce sont les dispositions des articles 18-1 A de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 qui prévoient en effet que « tout contrat ou projet de contrat relatif à l'exercice de la mission de syndic respecte un contrat type défini par décret en Conseil d'Etat. Le projet de contrat est accompagné d'une fiche d'information sur le prix et les prestations proposées par le syndic;
L’arrêté du 30 juillet 2021, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022, vient préciser le contenu de cette fiche d’information à travers un modèle annexé.
C’est l’occasion également de rappeler que si cette formalité n’est pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision de désignation du syndic, le syndic qui ne transmet pas cette fiche est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale (article 18-1 A, I alinéa 4 de la loi n° 65-557, 10 juil. 1965).
Crédit dessin: Michel Szlazak
En vertu des dispositions de l’article 1792-6 du code civil, « la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves ».
La notion de réception tacite d’un ouvrage est présumée lorsqu’est constatée une prise de possession par le maître d’ouvrage cumulativement avec le paiement des travaux (Cour de cassation, 3ème chambre 18 avril 2019 n°18-13734, publié).
Pour mémoire, la réception d’un ouvrage, qu’elle soit expresse ou tacite, est le point de départ de la garantie décennale supportée par tout constructeur (article 1792 du code civil).
Dans une affaire récemment jugée par la 3ème chambre de la Cour de cassation (01. 04.2021, n° 19-25.563) la fixation de la date de réception tacite de l’ouvrage posait difficulté.
Si les parties se prévalaient chacune d’une réception tacite de l’ouvrage, le maître d’ouvrage invoquait la date du 13 juillet 2006, soit la date d’émission du chèque, et l’assureur du constructeur, celle du 23 octobre 2006, date d’encaissement dudit chèque.
Les désordres objet du litige étant intervenus postérieurement à la date du 13 juillet 2006, la compagnie d’assurance décennale avait tout intérêt à soutenir que la date de règlement à retenir était celle du 23 octobre 2006, de sorte à fixer la réception tacite à cette date et ainsi exclure la mise en jeu de sa garantie décennale.
La Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel avait retenu à bon droit que la date de paiement était celle de l'émission du chèque qui correspond à la date à laquelle le tireur s'en est irrévocablement séparé, notamment en le remettant au bénéficiaire ou en l'envoyant par la poste, de sorte qu'il incombait au maître d’ouvrage de prouver qu'il avait émis le chèque le 13 juillet 2006.
Toutefois elle a considéré que le maître d’ouvrage n’était pas en mesure de rapporter cette preuve dès lors qu’il ne produisait que la seule mention manuscrite de la date de règlement au 13 juillet 2006 sur un « tableau récapitulatif des règlements » et aucun courrier ou avis de réception accompagnant la remise de ce chèque de nature à dater cette remise.
C’est dans ces conditions que la Cour d’appel a rejeté le pourvoi, déduisant de ces motifs que la date de règlement était celle de l'encaissement du chèque, soit le 23 octobre 2006, qui devait être considérée comme étant la date à laquelle avait eu lieu la réception tacite de l'ouvrage.
Crédit dessin: Michel Szlazak
En matière de renouvellement du bail commercial, la Cour de cassation avait déjà posé le principe selon lequel « à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix ».
Ce principe érigé par la jurisprudence a depuis été intégré par le législateur à l’article 1214 al.2 du Code civil.
En l’espèce, la question posée à la Cour de cassation était la suivante : lorsque les parties à un bail commercial expriment leur accord pour un renouvellement du bail « aux clauses et conditions du bail précédent », cet accord porte-t-il également sur le prix du bail ?
Les hauts-magistrats de la Cour de cassation ont répondu à l’affirmative à cette question dans un arrêt rendu par l’Assemblée Plénière le 15 avril 2021 et publié au Bulletin (Cour de cassation, Troisième Chambre civile, 15 avril 2021, pourvoi n° 19-24.231).
Un bail commercial est signé entre les parties le 31 mai 2007 moyennant un loyer annuel de 300.000 euros.
Par acte d’huissier du 23 novembre 2016, le preneur adresse au bailleur une demande de renouvellement du bail « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » à laquelle était annexée une copie du bail expiré.
Quelques jours plus tard, le bailleur lui fait délivrer par acte d’huissier son accord exprès pour un renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures ».
Seulement, le 29 novembre 2016, le preneur va solliciter de son bailleur la fixation du prix du bail renouvelé à la somme de 123 000 euros, demande que le bailleur va refuser.
C’est dans ces conditions que le 21 mars 2017, le preneur va notifier à son bailleur un mémoire préalable en fixation du prix du bail renouvelé à hauteur de 160.000 euros, puis saisir le juge des loyers commerciaux.
Sa demande va être rejetée à la fois par le juge des loyers commerciaux et par les juges de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui vont retenir que les parties ayant exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d’aucune réserve, elles avaient conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent, y compris sur le prix du bail.
La Cour d’appel ayant retenu qu'il appartenait aux parties d'exprimer leur volonté de contracter pour un prix différent, faute de quoi, le bail était renouvelé au prix plafonné.
Le preneur invitait la Cour de cassation à reconnaître que la Cour d’appel avait méconnu la loi des parties, ou à tout le moins dénaturé les termes des documents exprimant leur accord, l’expression « clauses et conditions » du précédent bail ne faisant aucune référence au prix.
Selon lui, la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » insérée dans une demande de renouvellement du bail, si elle peut traduire la volonté de renouveler le bail, ne peut suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme du locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler.
Il estimait que le fait d’avoir annexé à sa demande de renouvellement le précédant bail qui liait les parties ne permettait pas de caractériser un engagement précis, complet et ferme du locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler et sollicitait la réformation du jugement sur ces différents points.
Mais ce n’est pas ce que va juger la Cour de cassation qui va rejeter son pourvoi selon les motifs suivants :
« La cour d'appel a constaté que le preneur avait formulé une demande de renouvellement du bail aux clauses et conditions du précédent bail et que le bailleur avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures.
6. Elle a souverainement retenu, sans dénaturation, que, les parties ayant toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d'aucune réserve, elles avaient conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent.
7. Elle a exactement déduit, de ce seul motif, que la demande en fixation du loyer du bail renouvelé devait être rejetée ».
Il doit être retenu de cet arrêt que lorsque les parties ont exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat aux mêmes clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, la formule « aux mêmes clauses et conditions » emporte accord exprès et précis sur le prix du loyer du bail, de sorte que la demande ultérieure en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.
Cette décision aurait pu être différente si le locataire avait proposé un autre loyer au moment de sa demande de renouvellement ou si des réserves avaient été expressément émises.
En effet, rien n’interdit aux parties de s’entendre sur le renouvellement du bail même s’il existe entre elles un désaccord sur le prix du bail, lequel pourra être fixé ultérieurement à l’amiable, ou en cas de désaccord, en saisissant le juge des loyers.
Dans ce cas, il est d’usage en pratique de faire signifier au bailleur une demande de renouvellement « aux mêmes clauses et conditions » sans autres précisions. Plus rarement, le locataire prendra le soin de préciser le montant du nouveau loyer même si ce n’est pas obligation.
Dans cet arrêt la Cour de cassation sonne le glas de l’utilisation de ces formules de style et invite les parties à davantage de vigilance lors du renouvellement du bail.
Pourtant, cette décision n’allait pas de soi au regard d’une précédente décision de la Cour de cassation dans laquelle les hauts magistrats avaient jugé que « la mention « aux mêmes clauses et conditions du bail antérieur » portée dans une demande de renouvellement, « formule d’usage, qui ne faisait aucune référence expresse au loyer élément essentiel du contrat de bail, ne pouvait suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme de la locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler » (Cass. 3è civ., 24 juin 2009, n° 08-13.970).
Néanmoins, il ne faut voir pas pour autant dans cette nouvelle décision de la Cour de cassation un revirement de jurisprudence. En effet, la particularité des faits de l’espèce, dans laquelle un locataire et un bailleur s’échangent une demande de renouvellement et une réponse en se référant sans autre précision ni réserve aux « clauses et conditions du précédent bail », explique la présente décision.
Toutefois, et afin d’éviter difficulté sur ce point, il est conseillé aux parties à l’avenir de veiller à régler la question du montant du loyer au moment même de la délivrance de la demande de renouvellement ou du congé avec offre de renouvellement. En cas de désaccord, elles veilleront à réserver la question du montant du loyer du bail renouvelé car à défaut le bail sera renouvelé au même prix que le précédent.
Crédit dessin: Michel Szlazak
Le locataire-gérant doit avoir une clientèle propre et une autonomie de fonctionnement. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent (Cass. Com. 10 février 2021, n° 19-12.690).
En l’espèce, un camping avait donné en location son snack-bar, à destination de ses seuls clients propres, à un exploitant à qui elle imposait horaires et cahier des charges. L’un des fournisseurs de l’exploitant insolvable a essayé de se faire régler des sommes impayées directement par le camping, au motif que le propriétaire du fonds est solidairement responsable des dettes de son locataire-gérant contractées à l’occasion de l’exploitation du fonds (L. 144-7 du C. Com.).
La Cour d’appel, pour faire droit à cette demande, avait retenu la préexistence d’une licence IV et d’une clientèle déjà constituée par le camping avant la mise en location du snack.
La Cour de cassation a rappelé que ces critères étaient insuffisants à démontrer l’existence d’un contrat de location-gérance. En effet, le snack n’étant accessible qu’aux seuls clients du camping et l’exploitant étant tenu d’assurer au profit des ceux-ci une activité de restauration selon les horaires et les types de prestations définis au cahier des charges du camping, ainsi que se plier aux impératifs d’animation du camping, il ne bénéficiait d’aucune autonomie de fonctionnement et donc d’aucune clientèle propre.
Or, la qualification d’un contrat de location-gérance repose sur la réunion de trois conditions (article L. 144-1 du Code de commerce) :
Crédit dessin: Michel Szlazak
Est constitutive d’un abus de droit l’action en justice du promoteur immobilier visant à obtenir l’exécution forcée de la signature d’une promesse de vente à son profit et de faire publier l’assignation au service de la publicité foncière afin de faire obstacle à la vente des biens à un tiers.
Cass.3e civ. 28 janvier 2021, pourvoi n°19-24.962
Placées sous le signe de la liberté, les négociations précontractuelles entre les parties ne sont soumises à aucune exigence particulière quant à leur initiative, leur déroulement ou leur rupture (article 1112 du Code civil). Chaque partie demeure libre de poursuivre ou non les négociations sans être tenue de s’engager par la signature d’un contrat.
Toutefois, les parties doivent mener les négociations en respectant les exigences de la bonne foi sous peine d’engager leur responsabilité extra contractuelle et être tenues au paiement de dommages-intérêts.
Dans cette affaire une société de promotion immobilière s’était engagée dans des pourparlers avec des vendeurs en vue de la signature d’une promesse de vente portant sur diverses parcelles de terrain non bâties.
Au cours des négociations, les vendeurs ont finalement décidé de ne pas poursuivre l’opération. Le promoteur décide de les assigner en exécution forcée de signature de la promesse de vente et de faire publier l’assignation au registre de la publicité foncière, interdisant de fait toute vente des terrains litigieux à un autre acquéreur.
C’est en raison de la publication de cette assignation que les vendeurs vont reconventionnellement solliciter la condamnation du promoteur à leur verser des dommages-intérêts au titre du caractère abusif de la procédure.
La Cour d’appel de Chambéry fait droit à leur demande et condamne le promoteur à leur verser des dommages-intérêts à hauteur de 98.000 € en réparation du coût de l’entretien très lourd de leur propriété qu’ils ont continué d’assumer depuis l’introduction de l’instance et sans espoir de pouvoir vendre leurs biens à court terme alors qu'ils avaient pour projet de vendre rapidement leurs propriétés.
Le promoteur se pourvoit en cassation contre cette décision mais la Cour de cassation va confirmer l’arrêt de la Cour d’appel.
Les hauts magistrats, reprenant les moyens développés par la Cour d’appel, retiennent que le promoteur ne sollicitait pas en l’espèce la réitération forcée de la vente, mais la signature d'une promesse de vente sous conditions suspensives, lesquelles étaient encore indéterminées dans leur libellé exact.
Ils ajoutent que c’est délibérément que le promoteur a procédé à la publication de l'assignation au service de la publicité foncière, et ce alors même qu’elle n’était pas requise à peine d’irrecevabilité de sa demande.
Les juges déduisent de l’ensemble de ces circonstances que cette assignation, qui a pour effet d’empêcher toute vente au profit d’un tiers, n’avait été réalisée que dans le seul but d’empêcher les vendeurs de vendre leurs biens à un tiers, et ce alors même que le promoteur avait parfaitement connaissance de leur projet alternatif visant à vendre non plus seulement les terrains à construire, mais également la maison de maître, pour un prix très nettement supérieur.
La Cour d’appel relève que l’intention du promoteur de faire obstruction à tout autre projet que le sien est au demeurant confirmée par une lettre comminatoire adressée à un cabinet d’architectes afin de le faire renoncer à poursuivre la consultation d’autres promoteurs pour le compte des vendeurs en vue d'un aménagement de l'ensemble de leur propriété.
C’est eu regard de l’ensemble de ces éléments que la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’en avoir déduit que le promoteur avait commis un abus de droit de nature à engager sa responsabilité.
Crédit dessin: Michel Szlazak
Tout comme l’année dernière, le gouvernement a prolongé la période de trêve hivernale.
Selon une ordonnance n° 2021-141 du 10 février 2021 relative au prolongement de la trêve hivernale, la période de trêve hivernale prévue par les dispositions de l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d'exécution prenant fin le 31 mars de chaque année a été prolongée jusqu’au 31 mai 2021.
En effet, une mesure identique avait été mise en œuvre l’an dernier en raison de la crise sanitaire par le biais de l’ordonnance n°2020-331 du 25 mars 2020. A noter que le législateur avait finalement entendu la maintenir jusqu'au 10 juillet 2020 (L. n° 2020-546, 11 mai 2020, art. 10).
Enfin, rappelons que seule l’exécution de l’expulsion est différée pendant cette période.
Ainsi, elle ne fait pas obstacle à ce qu’une procédure en recouvrement des dettes locatives et en résiliation du bail soit engagée ni à ce que des décisions prononçant l'expulsion soient rendues par les juridictions déjà saisies.
Crédit dessin: Michel Szlazak
Le mardi 19 janvier 2021, le Sénat a adopté une nouvelle proposition de loi visant au respect de la propriété immobilière contre le squat.
Le texte prévoit un durcissement des sanctions en cas de violation de domicile et crée un nouveau délit « d’occupation frauduleuse d’un immeuble ».
L’état du droit antérieur : la procédure d’expulsion accélérée
Tout le monde se souvient encore du fait divers de Théoule-sur-Mer, lorsqu’au cours de l’été 2020, un couple d’octogénaires a trouvé sa résidence secondaire occupée par une famille qui avait fait procédé au changement de serrure. Cette affaire avait finalement donné lieu à une condamnation par le Tribunal correctionnel de Grasse à huit mois de prison avec sursis pour violation de domicile.
Confrontés à l’occupation illégale de leur domicile, les propriétaires doivent, en application de l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (loi « DALO »), solliciter l’accord du préfet pour mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux.
Le préfet dispose alors d’un délai de 48 heures à partir de la réception de la demande pour rendre sa décision. En cas d’acceptation, la mise en demeure est adressée aux occupants et assortie d’un délai d’exécution de 24 heures minimum. Elle est également publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux.
Si les squatteurs n’ont pas libéré les lieux dans le délai fixé par le préfet, ce dernier peut alors faire évacuer le logement par la force publique.
Néanmoins, avant d’engager cette procédure d’expulsion accélérée, les propriétaires doivent obligatoirement et préalablement porter plainte pour violation de domicile au commissariat ou à la gendarmerie.
L’article 226-4 alinéa 1er du code pénal définit l’infraction de violation de domicile comme l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, hors les cas où la loi le permet.
Ce qui suppose pour les propriétaires de prouver que le logement est bien leur domicile (factures EDF, avis d’imposition) mais surtout, que la personne présente chez eux s’est introduite par effraction. Pour ce faire, ils doivent faire constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.
Or, les squatteurs, particulièrement bien informés de cette subtilité, s’organisent systématiquement pour faire changer les serrures du domicile squatté et rendre ainsi très difficile la preuve de l’effraction. Ces derniers s’arrangent également pour se faire adresser des factures à l’adresse du domicile squatté pour se prémunir la preuve de ce que le logement constitue bien leur domicile.
Ce régime d’expulsion accéléré présentait, jusqu’à récemment, une autre difficulté majeure puisqu’ils ne concernaient que les résidences principales et non les résidences secondaires.
La simplification des mesures d’expulsion par la loi Asap du 7 décembre 2020
C’est dans ce contexte de médiatisation de ces affaires d’occupation illégale et face à l’émotion suscitée par ces situations de propriétaires dépossédés, que fut voté un amendement supplémentaire dans le cadre du vote de la Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite Loi « Asap » (article 73 de la Loi) visant à renforcer la procédure d’expulsion des squatteurs d’un bien immobilier.
Désormais, cette procédure d’expulsion n’est plus réservée à la seule résidence principale du propriétaire (ou du locataire) mais concerne également toutes les résidences secondaires.
Autre apport de cette loi, le préfet doit désormais justifier de son refus. Il peut refuser de mettre en demeure l’occupant uniquement en cas de méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa de l’article 38 de la loi DALO (plainte préalable, preuve du domicile et constat de l’officier de police) ou lorsqu’il existe un motif d’intérêt général. En cas de refus, les motifs de la décision doivent être communiqués sans délai au demandeur.
Et Demain ? Un durcissement des sanctions contre les squatteurs
Le 19 janvier 2021, les sénateurs ont exprimé leur intention d’aller encore plus loin dans la répression du squat, en adoptant une nouvelle proposition de loi visant au respect du droit de propriété en cas de squat. Cette proposition de loi, loin de faire l’unanimité parmi les sénateurs, a attisée tous les débats entre les différents partis représentés à l’hémicycle.
L’article 1er du texte prévoit un durcissement de la sanction en cas de violation de domicile qui passerait ainsi d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
Selon Henri Leroy, rapporteur LR de ce texte, cette disposition « fait écho à l’article 226-4-2 du Code pénal, qui prévoit 3 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende pour un propriétaire qui expulserait son locataire sans concours de l’Etat ». Les sénateurs ayant voulu « rétablir une certaine égalité de traitement ».
Le texte prévoit également la création d’une nouvelle infraction « d’occupation frauduleuse d’un immeuble » punie par le code pénal d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Ce nouveau délit serait également assorti d’une peine complémentaire qui consisterait à déchoir le squatteur de son droit au logement opposable pour une durée de trois ans.
Reste toutefois à déterminer les éléments constitutifs de cette nouvelle infraction dont les contours sont encore à ce jour très flous…
Le manque de précision des éléments constitutifs de cette nouvelle infraction lui a valu d’ailleurs les critiques d’une partie des membres du gouvernement, « défavorable à cette incrimination » qu’ils jugent « trop large » et « insuffisamment protectrice des personnes les plus vulnérables ».
Crédit dessin: Michel Szlazak
Par un arrêt du 17 décembre 2020, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle au visa de l’article 1315, devenu 1353 du code civil, que le propriétaire d’un fonds doit apporter la preuve de l’état d’enclave qu’il allègue.
Cour de cassation - Troisième chambre civile - du 17 décembre 2020 (n°19-11.376)
La propriétaire d’un fonds, estimant que ce dernier ne disposait d’aucun accès à la voie publique, a saisi le Tribunal de Grande Instance d’une demande d’expertise judiciaire, en vue de constater l’état d’enclave dudit fonds et de déterminer une solution de desserte.
L’expertise judiciaire, après avoir confirmé l’état d’enclave du fonds, proposait diverses solutions de désenclavement.
Sur la base de ce rapport, la demanderesse a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Bonneville une ASL et une SCI, toutes deux propriétaires des parcelles voisines, aux fins de voir constater l'état d'enclavement de sa parcelle et de se voir reconnaître une servitude de passage sur les propriétés des défenderesses.
Par jugement du 30 mars 2018, le Tribunal de Grande Instance de Bonneville a rejeté ses demandes, considérant la parcelle comme n’étant pas enclavée.
La requérante a alors saisi la Cour d’appel de Chambéry qui, dans un premier temps rappelle les dispositions de l'article 682 du code civil selon lesquelles :
« Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ».
La Cour relève ensuite que la requérante apportait la preuve qu'au-delà des lotissements Les Neiges d'Ormaret 1 et 2, la circulation sur le chemin de la côte Pugin par le Sud était interdite, interdiction matérialisée par la présence d'un panneau de sens interdit.
En défense, l'ASL et la SCI qui ne contestaient pas l'existence de ce panneau, remettaient toutefois en cause son origine et soulevaient que la requérante n’apportait pas la preuve selon laquelle la commune aurait pris un arrêté ou une délibération autorisant la pose de ce panneau.
La Cour rejetait l’argument de l’ASL et de la SCI au motif que selon elle, il constituait un renversement de la charge de la preuve, la requérante étant « présumée de bonne foi » et dès lors qu’elle « prouve l'existence de ce panneau ».
Sur le fondement des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, la Cour rappelait en outre que « c'est à celui émettant des doutes quant à son origine de les fonder ».
Ainsi la Cour d’appel de Chambéry réformait le jugement entrepris par le Tribunal de Grande Instance de Bonneville et jugeait que les parcelles concernées étaient bien enclavées.
La SCI s’est donc pourvue en cassation et soulevait notamment le moyen selon lequel :
« pour revendiquer un droit de passage pour cause d’enclave du fonds litigieux, la propriétaire invoquait – soudainement, dans ses ultimes écritures – l’existence d’un panneau de sens interdit sur le côté sud du chemin de la côte Pugin supposé avoir été implanté pour interdire l’accès à la voie publique ; qu’en énonçant qu’il n’incombait pas à la propriétaire revendiquant l’enclave, mais à ses voisins, d’établir l’existence de la décision administrative à l’origine de cette interdiction, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1315, devenu 1353, du code civil ».
La Cour de cassation a en effet validé ce raisonnement en considérant que la Cour d’appel avait inversé la charge de la preuve de l’état d’enclave invoqué en raison d’un obstacle juridique à l’accès à la voie publique.
Il appartenait donc bien à la demanderesse qui alléguait l’état d’enclave de son terrain, d’apporter la preuve selon laquelle le panneau d’interdiction reposait bien sur une décision administrative de la Commune.
Crédit dessin: Michel Szlazak
Selon un arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la Cour de cassation, il ressort que l’insuffisance de performance d’un élément d’équipement dissociable, en l’occurrence une pompe à chaleur, peut permettre d’engager la responsabilité décennale du constructeur, si ce désodre rend également l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination
Focus sur l’arrêt rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation, 26 novembre 2020, 19-17.824
Ayant sans doute à l’esprit la volonté de limiter l’application de la responsabilité décennale des constructeurs aux dommages les plus graves, le législateur a prévu les conditions dans lesquelles elle trouvait à s’appliquer lorsque le dommage relève, non pas de l’ouvrage lui-même, mais d’un élément d’équipement de cet ouvrage.
Lorsque le dommage trouve son origine dans un élément d’équipement d’une construction, la garantie décennale peut s’appliquer dans deux cas de figure :
- si le dommage affectant l’élément d’équipement a pour effet de rendre l’ouvrage impropre à sa destination (article 1792 du code civil) ;
- si le dommage n’affecte que l’élément d’équipement dans sa solidité mais que ce dernier est indissociable de l’ouvrage (1792-2 du code civil).
Etant rappelé qu’un élément d’équipement est considéré comme indissociable de l’ouvrage lorsqu’il forme indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
Dans la première hypothèse qui nous occupera, il est absolument indifférent que l’élément d’équipement affecté des désordres soit ou non dissociable de l’ouvrage, sauf à mélanger les conditions de l’article 1792 du code civil.
L’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 26 novembre 2020 s’inscrit dans cette hypothèse du désordre qui affecte un élément d’équipement rendant l’ouvrage impropre à destination.
Des particuliers avaient commandé à une entreprise la fourniture et l’installation dans leur maison d’une pompe à chaleur et d’un ballon thermodynamique. Se plaignant de pannes survenues durant l’hiver, ils ont assigné ladite entreprise et son assureur en indemnisation des préjudices ou en remboursement du prix payé et du coût du financement.
La Cour d’appel de Bastia, dans un arrêt rendu le 27 mars 2019 (CA Bastia, 27 mars 2019, n° 15/00558), avait considéré que le nouveau système de chauffage installé était inadapté au volume d’air à chauffer, que l’installateur aurait dû conseiller à ses clients de prévoir un chauffage d’appoint et que le mode de chauffage existant ne nécessitait pas l’installation d’une pompe à chaleur dont le coût en électricité était plus important.
Les juges d’appel condamnaient ainsi l’entreprise et son assureur sur le fondement de la responsabilité décennale, au motif que les désordres qui trouvaient leur source dans un élément d’équipement rendaient l’ouvrage dans son ensemble (l’habitation) impropre à destination. Et la Cour de rappeler qu’il est indifférent, dans le cas d’une impropriété à destination de l’ouvrage, que l’élément d’équipement en soit ou non dissociable.
Un pourvoi est formé, l’assureur soutenant que la défaillance de l’installation ne rendait pas l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.
La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que les désordres atteignant l’élément d’équipement en cause rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination et relevaient par conséquent de la garantie décennale.
Cet arrêt ne doit pas passer inaperçu en ce qu’il étend ainsi le champ d’application de la responsabilité décennale des constructeurs à des éléments d’équipement dissociables qui portent atteinte à l’habitabilité de l’ouvrage.