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    Droit public (6)

     

     Un décret n° 2023-10 du 9 janvier 2023 vient étendre aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel les séances et audiences d’instructions expérimentées devant le Conseil d’Etat.

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    « la procédure étant essentiellement écrite, vous n’êtes pas tenu d’assister à l’audience. Si vous y assistez, vous pourrez présenter des observations orales » : c’est en ces termes que les avis d’audience devant les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel rappellent le caractère facultatif de la présence à l’audience et mentionnent la possibilité d’y présenter des observations orales.

    Devant le Conseil d’Etat, l’avis d’audience rappelle l’impossibilité de présenter des observations autrement que par l’intermédiaire un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation : « En vertu des dispositions combinées des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du code de justice administrative, seuls les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation peuvent présenter des observations orales le jour de la séance de jugement ».

    Toutefois, lorsque la juridiction souhaite recueillir des observations orales, elle va désormais pouvoir le faire de manière plus souple au cours de l’instruction.

    En effet, le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 a introduit devant le Conseil d’Etat, à titre expérimental, la possibilité, par une séance orale d’instruction ou une audience publique d’instruction, d’entendre les parties sur toute question de fait ou de droit dont l'examen paraît utile.

    Un bilan positif de cette expérimentation a été tiré :

    « Le bilan fait ressortir des points positifs :

    Une souplesse du dispositif (contrairement au formalisme de l’enquête R623-1 CJA)

    Un accès direct à des sources d’information

    La possibilité de centrer les débats sur les questions essentielles

    L’ouverture du juge vers les parties

    Une plus grande acceptabilité des décisions rendues

    Le rapport enfin préconise sa pérennisation au CE et son extension aux TA/CAA. Cela ne se substitue pas à l’instruction écrite mais vient en complément et doit demeurer à la main de la collégialité (sauf JU) et non déléguée au seul rapporteur de l’affaire. Cette procédure ne doit pas empêcher la formalisation a posteriori d’écritures dans le dossier » (compte-rendu du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel du 7 décembre 2022 fait par l’Union Syndicale des Magistrats Administratifs).

    « Le bilan fait par le comité d’évaluation de cette expérience conduit à estimer que, si ces dispositions ne peuvent évidemment se substituer au caractère fondamentalement écrit de la procédure contentieuse, elles présentent un intérêt particulier dans le cas où se posent des questions factuelles précises pour lesquelles un complément d’information, selon des formes plus souples que la production de mémoires écrits ou que les moyens d’investigation déjà prévus par le code de justice administrative, s’avère nécessaire » (compte-rendu du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel du 7 décembre 2022 fait par le Syndicat de la juridiction administrative).

    Le décret n° 2023-10 du 9 janvier 2023 modifie donc le code de justice administrative pour étendre cette possibilité aux tribunaux administratifs et cours administratives d’appel :

    « Le chapitre V du titre II du livre VI du même code est remplacé par les dispositions suivantes :

    « Chapitre V

    « Les procédures orales d'instruction

    « Art. R. 625-1. - En complément de l'instruction écrite, la formation de jugement dans un tribunal ou une cour, ou la formation chargée de l'instruction au Conseil d'Etat, peut tenir une séance orale d'instruction au cours de laquelle elle entend les parties sur toute question de fait ou de droit dont l'examen paraît utile.

    « Les parties sont convoquées par un courrier qui fait état des questions susceptibles d'être évoquées. Toute autre question peut être évoquée au cours de cette séance.

    « Peut également être convoquée toute personne dont l'audition paraît utile.

    « Art. R. 625-2. - La formation de jugement peut tenir une audience publique d'instruction au cours de laquelle les parties sont entendues sur toute question de fait ou de droit dont l'examen paraît utile. Cette audience ne peut se tenir moins d'une semaine avant la séance de jugement au rôle de laquelle l'affaire doit être inscrite.

    « Le président de la formation de jugement convoque les parties par un courrier qui fait état des questions susceptibles d'être évoquées. Peut également être convoquée toute personne dont l'audition paraît utile.

    « Les parties ou, si elles sont représentées, leurs représentants peuvent présenter des observations orales à l'audience d'instruction. » ».

    Soit un dispositif permettant d’éprouver et de sonder les parties, en vue d'éclairer la religion du tribunal. 

     

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Par un arrêt du 10 janvier 2022, le tribunal des conflits précise qui, du juge administratif ou du juge judiciaire, est compétent pour connaitre des litiges relatifs à la passation d'un marché mêlant acheteurs privés et acheteurs publics.

    Dès lors qu'au moins un acheteur public est présent dans ce groupement, le litige relatif à la procédure de passation du marché ressortit de la compétence du juge administratif.

    Les litiges d'exécution du marché restent en revanche de la compétence du juge judiciaire lorsqu'ils sont purement privés.

    "5. Dans le cadre d'un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l'un d'entre eux le soin de conduire la procédure de passation, et où, l'un des acheteurs membres du groupement étant une personne publique, le marché qu'il est susceptible de conclure sera un contrat administratif par application de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure est le juge administratif, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé" (Tribunal des conflits, 10 janvier 2022, n° C4230).

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    Dessin: Michel Szlazak

    Déjà, il y a plus de quatre années, un vif débat entourant une statue était né à l’initiative de la Fédération morbihannaise de la Libre Pensée. #Montretacroix, tel avait été le mot-dièse – ou hashtag – que les réseaux sociaux avaient vu apparaître et grâce auquel nombreux avaient été ceux qui s’émurent de la décision du Conseil d’Etat du 25 octobre 2017[1]. Et il vrai qu’en conséquence de ce dernier jugement – ou arrêt, ici –, les juges du Palais-Royal auraient pu craindre d’être jugés selon leurs œuvres, s’ils n’avaient été sûrs de ce qui était écrit dans les livres, non ceux constitutifs de la doctrine de la foi, mais plutôt ceux déterminant les règles de notre droit positif. Ceux-ci, relevant d’une matière ô combien sujette, elle aussi, à l’exaltation des passions, ne laissaient plus guère de place au doute quant à la solution du litige qui a enflammé la commune de Ploërmel. La cause de ce contentieux était alors bien connue, tant elle avait été à la une de l’actualité : elle résidait dans l’installation d’une sculpture monumentale de Jean-Paul II au cœur d’une place éponyme, installation qui opposa une antenne locale de la Fédération de la Libre Pensée – entre autres requérants – à la commune qui avait décidé, suite à une délibération du conseil municipal, d’accepter l’œuvre offerte par son auteur même, Zourab Tsereteli.

    Au mois de décembre dernier, quelques jours avant la célébration de Noël, le tribunal administratif de Nantes, saisi cette fois-ci par Fédération de Vendée de la Libre Pensée dans une affaire aux contours similaires de ceux qui avaient entraîné les émois ci-dessus rappelés, a enjoint au maire de la commune des Sables-d’Olonne de procéder au retrait de la statue de Saint-Michel installée en 2018 sur le parvis de l’église du même nom[2]. Loin d’offrir un débat apaisé, cette décision grandement médiatisée, car rendue dans un temps marqué par des enjeux politiques importants, permet de constater de nouveau que la place du religieux dans l’espace public demeure une source intarissable de conflits sur le territoire national.

    Dans les deux cas, la question d’une éventuelle atteinte au principe de laïcité se posait de fait, en raison de la personnalité même des modèles sculptés – si tant est que l’archange Michel fût une personne –, mais surtout, s’agissant de la statue de Jean-Paul II, en raison de la croix le surplombant, d’une taille au moins équivalente à celle du saint homme représenté.

    Dans cette dernière affaire, le tribunal administratif de Rennes[3] avait en son temps condamné la statue à un démontage, considérant que la croix installée au sommet de l’arche entourant la représentation de Jean-Paul II présentait un caractère ostentatoire en contradiction avec les règles énoncées à la fois par la loi du 9 décembre 1905 et la Constitution, alors que la Cour administrative d’appel de Nantes[4], sans nier l’atteinte au principe de laïcité, avait quant à elle rejeté les demandes de retrait de l’œuvre en raison de la tardiveté du recours formé par les requérants. Dans les deux décisions, les juridictions administratives avaient affirmé que la représentation du 264ème Pape de l’Eglise catholique n’était pas constitutive d’une violation des dispositions législatives ou constitutionnelle consacrant le principe de laïcité ; seule l’était la croix apposée au sommet de l’arche entourant la statue.

    C’était là que résidait toute la spécificité de cette affaire : d’une analyse partagée des faits à l’origine du contentieux, les solutions différèrent en raison d’une interprétation différente de l’illégalité constatée. Pour le juge de première instance, l’installation d’un symbole du christianisme constituait vraisemblablement une illégalité permanente à laquelle il fallait mettre fin, sans délai, l’exposition de l’œuvre s’apparentant à une réitération quasi perpétuelle de la décision de l’implanter sur le domaine public ; à l’inverse, pour les juges d’appel, la mise en place publique de la sculpture de Zourab Tsereteli n’était la conséquence que d’une décision administrative non créatrice de droits précisément identifiable, en l’espèce une délibération du conseil municipal de la commune de Ploërmel du 28 octobre 2006. Pour la Cour, cette délibération illégale dès son édiction étant devenue définitive, il n’était plus envisageable d’en ordonner l’abrogation[5], et les demandes formulées par les requérants les 6 avril et 26 juin 2012, si elles avaient fait naître des décisions implicites de rejet, ne pouvaient avoir pour effet de rouvrir les délais de recours contentieux contre la délibération initiale du conseil municipal, de même qu’elles n’offraient  pas la possibilité à ces mêmes requérants d’invoquer une quelconque exception d’illégalité, la délibération ne présentant pas de caractère réglementaire. La Cour administrative d’appel de Nantes, malgré l’illégalité manifeste constituée par l’implantation de la croix installée au sommet de l’arche, privilégiait donc les règles de la procédure administrative contentieuse, au risque de faire perdurer une ostensible atteinte au principe de laïcité.

    Le Conseil d’Etat, lui, faisant preuve d’une remarquable créativité dans sa décision du 25 octobre 2017, avait réussi à concilier ces deux exigences, ne souhaitant pas de toute évidence laisser passer pareille atteinte : il découvrit ainsi une décision – jusqu’alors introuvable – pour laquelle la forclusion n’était pas acquise et qui concernait la croix mais non la statue (1).

    La statue de Saint-Michel, quant à elle, anciennement installée au cœur de l’école privée Saint-Michel puis déplacée dans un établissement scolaire privée, avait été restaurée par la commune des Sables-d’Olonne avant d’être installée, sur le domaine public communal, sur le parvis de l’église Saint-Michel. On le comprendra aisément, surtout au vu des circonstances de l’installation – une cérémonie religieuse l’a accompagnée –, la dimension religieuse de l’ouvrage ne pouvait être utilement contesté. Toutefois, les juges du tribunal administratif de Nantes auraient pu, peut-être, rendre une tout-autre décision, dans le prolongement de la ligne jurisprudentielle confirmée – davantage qu’initiée – par le Conseil d’Etat en 2017, laquelle faisait alors montre d’une vision constructive du principe de laïcité (2).

     

         1. Avant d’entrer dans le détail des enjeux de la notion même de la laïcité, éclairés par ces deux affaires sur lesquelles le juge administratif s’est penché à quelques années d’intervalles, il convient de rappeler tout l’intérêt de l’arrêt rendu le 25 octobre 2017 pour la procédure administrative contentieuse.

    S’il est rare que la solution d’un litige s’impose sans qu’une quelconque difficulté ne survienne – difficulté quant à l’appréciation des faits constitutifs du contentieux, ou bien difficulté dans l’interprétation des normes applicables –, l’affaire de la statue de Jean-Paul II installée au cœur de la commune de Ploërmel relevait de cet inhabituel phénomène dans lequel l’évidence n’est plus à démontrer. Les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 interdisant, « à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions »[6], la décision d’implanter sur une place publique à la banalité déconcertante une arche surmontée d’une croix allait indubitablement à l’encontre de la lettre du texte législatif. Mais, pour indiscutable qu’elle fût, l’annulation de la décision ordonnant l’installation de la croix ne pouvait être prononcée qu’à la condition qu’elle pût encore faire l’objet, au moment de l’introduction de la requête, d’un recours. Sur ce point précis, la solution retenue par le Conseil d’Etat en 2017 n’était pas, elle, frappée du sceau de l’évidence.

    Le Conseil d’Etat opta en effet pour une solution pour le moins astucieuse, voire audacieuse, pour permettre d’ôter la croix sans condamner l’ensemble de l’œuvre : il considéra que la délibération du conseil municipal de la commune de Ploërmel du 28 octobre 2006 ne portait que sur l’acceptation de la statue de Jean-Paul II, et non sur l’ensemble monumental composé de l’arche surplombant le défunt Pape et de la croix en son sommet. La Haute juridiction confirmait donc le caractère définitif de la délibération, mais seulement en ce qu’elle manifestait la volonté de la collectivité d’accepter la représentation de Jean-Paul II. Concernant l’arche et sa croix, les juges estimèrent que leur implantation relevait d’une autre décision municipale qui, elle, n’avait jamais fait l’objet d’une mesure de publicité, de sorte que les délais de recours n’avaient pu commencer à courir. La deuxième décision était donc contestable. Le Conseil d’Etat put en apprécier la légalité. Il put ainsi conclure à la nécessité du retrait, non de l’arche dans son ensemble, mais seulement de la croix.

    L’artifice jurisprudentiel employé par la juridiction administrative était assez remarquable, en ce qu’il distingue juridiquement plusieurs éléments incontestablement et artistiquement liées. L’artiste, au moment de son geste créatif et créateur, a produit une œuvre une et indivisible, et il n’était guère concevable que celle-ci pût être divisée en de multiples éléments indépendants. Mais il nous semble que le Conseil d’Etat – et ce en dépit des propos tenus par Jean-Marc Sauvé dans un entretien accordé au journal La Croix[7] –, ne voulut pas paraître impuissant face à l’érection de cette croix trismégiste, une inaction de sa part pouvant être perçue, par certains défenseurs de la laïcité, comme un signe de laxisme ou de désintérêt pour ce principe constitutionnellement garanti. Surtout, cette décision avait eu pour effet de transférer la responsabilité du retrait de la sculpture sur l’artiste lui-même qui, vu qu’il n’a pas accepté de bouleverser l’équilibre esthétique de son œuvre, a poussé les autorités communales à une désinstallation pure et simple de celle-ci pour sa réinstallation à une trentaine de mètres sur un terrain acquis par le diocèse.

    C’est ainsi, malgré les critiques virulentes à l’époque, la volonté manifestée par le juge administratif de ménager les règles de la procédure contentieuse et le respect du principe de laïcité, principe à l’égard duquel il adopta une position pour le moins constructive, ne pouvait qu’être saluée.

     

           2. La difficulté qu’avait connue le juge administratif de trouver en 2017 une décision administrative qui pouvait encore faire l’objet d’un recours contentieux constituait, presque a contrario, un exemple topique de la problématique très souvent soulevée par la laïcité en matière de police (précisons ici que la problématique de la police de la conservation du domaine ne peut se poser dans les deux affaires, car si cette police spéciale permet de faire cesser une atteinte au domaine, la question ne peut se poser en ces termes lorsqu’une personne publique gardienne de son domaine est réputée y porter atteinte, l’absence de sanction administrative excluant par ailleurs l’idée d’une contravention de grande voirie).

    La laïcité n’a jamais été une composante de l’ordre public, les plus récentes affaires le suggèrent encore[8], et nul requérant ne pourrait sur ce fondement arguer de l’illégalité par exemple d’un refus, de la part d’une autorité compétente, de mettre en œuvre des mesures destinées à prévenir la survenance d’un péril grave et imminent susceptible de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques[9]. Mais cette question, en de favorables occurrences et envisagée à travers un prisme différent, pourrait peut-être faire naître, un jour, une solution davantage nuancée.

    Le principe de laïcité, permettant essentiellement de structurer l’action publique, ne concerne les administrés qu’en raison de la latitude que celui-ci leur offre pour exprimer librement leurs convictions religieuses, ou autres spiritualités. En ce sens – le Conseil d’Etat le rappelait dans son rapport public de 2004 –, la laïcité française se déclinant « en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme »[10], elle est, fidèle en cela aux dispositions de l’article 18 de la Déclaration de 1789, une garantie à l’exercice de certaines de nos libertés fondamentales. Les atteintes à ce principe ne peuvent donc qu’avoir pour origine, en principe, l’administration elle-même ou des associations cultuelles, de sorte que nous ne pouvons aisément entrevoir les conditions dans lesquelles un individu, ni agent public, ni élu, en dehors du cadre législatif institué par la loi du 15 mars 2004[11], pourrait porter atteinte à un principe institué pour le protéger dans l’exercice d’une de ses libertés. En d’autres termes, si atteinte au principe il y a, celle-ci ne peut qu’être constituée, pour l’essentiel, par une action ou une abstention d’action de la puissance publique, excluant normalement l’idée d’atteinte à un ordre public censément défendu par cette même autorité. Sauf, peut-être, concernant l’une de ses composantes : la dignité de la personne humaine.

    Patrick Frydman rappelait, dans ses propos conclusifs du colloque intitulé « Les vingt ans de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge - À propos de la dignité de la personne humaine », que la dignité de la personne humaine n’était retenue que de manière rare, voire exceptionnelle, en sorte d’« ultime rempart » pour protéger des individus « placés en situation de particulière vulnérabilité »[12]. Pourtant, dans une affaire au moins[13] – peut-être « d’une façon éminemment casuistique »[14] mais qu’importe –, la dimension exclusivement immatérielle de l’atteinte à la dignité de la personne humaine fut retenue en raison de la nature particulière de la sanction pénale afférente, ce qui pourrait amener le juge administratif, pensons-nous – et à l’inverse de l’espèce –, à condamner l’installation d’une œuvre d’art qui pourrait faire l’objet d’une condamnation pénale. Bien entendu, nous ne voyons pas comment l’érection d’une statue célébrant un éminent personnage public, saint au surplus – rappelons que Jean-Paul II fut béatifié le 1er mai 2011, puis canonisé le 27 avril 2014 –, pourrait constituer en elle-même une atteinte à la dignité de la personne humaine, la liberté religieuse n’en étant d’ailleurs pas l’une des composantes. Mais qu’en serait-il, par exemple, sans aller jusqu’à envisager la consécration d’un damné, de l’installation d’un signe religieux ou spirituel davantage polémique ?

    Il nous semble que cette question pourrait être posée, en raison de la solution qui avait été retenue par le Conseil d’Etat lui-même, au point n°15 de la décision du 25 octobre 2017, pour écarter le moyen selon lequel le maire de la commune de Ploërmel était tenu de faire cesser un trouble allégué à l’ordre public qui procèderait de la méconnaissance de la loi du 9 décembre 1905 : l’atteinte n’était pas constituée parce que l’implantation de l’arche en surplomb de la statue ne méconnaissait pas les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ; a contrario, si elle avait été établie, la sanction pénale prévue à l’article 29 de la loi du 9 décembre 1905[15] – une peine de police parmi celles prévues à l’article 463 du code pénal[16] – eût été applicable.

    Nous aurions ainsi pu envisager qu’une autorité compétente pût intervenir pour prévenir ou faire cesser une atteinte aux dispositions de l’article 28, et faire donc cesser l’atteinte matérialisée par l’installation d’un monument religieux, éventualité qui n’est d’ailleurs pas totalement étrangère à la jurisprudence administrative antérieure. En effet, Sophie Boissard, commissaire du gouvernement dans l’affaire Association cultuelle du Varja Triomphant[17], invitait déjà le Conseil d’Etat à retenir, « pour l’application des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, une acception large de la notion d’ordre public recouvrant non seulement, comme en matière de police générale, la sécurité publique, la tranquillité publique, la salubrité publique et la moralité publique […], mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées »[18] – dans le prolongement, sur ce dernier point, de la jurisprudence Ministre de l’Intérieur c/ M. Rakhimov[19].

    Certes, les différences entre cette dernière espèce et celles des statues de Jean-Paul II ou de Saint-Michel sont importantes : dans celle-là,  l’auteur de l’atteinte à la loi du 9 décembre 1905 était une personne morale de droit privé, ce qui offrait à l’autorité de police compétente une entière faculté d’intervention ; dans celles ici commentées, aucune sanction pénale, aujourd’hui, n’est prévue en cas de violation des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, l’article 323 de la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 ayant abrogé l’ensemble des dispositions normatives faisant référence à l’article 463 du code pénal[20].

    Dans le prolongement de cet élément, et à supposer que le moyen eût été soulevé, il aurait été intéressant de connaître la position du juge administratif dans l’affaire de la statue de la Vierge de la commune de Saint-Pierre-d’Alvey, étant donné que l’initiative de la création et de l’installation sur le domaine public de ladite statue faisant alors l’objet du litige avait appartenu exclusivement ou presque – avec l’assentiment de la commune – à des personnes privées[21].

    En tout état de cause, il ne nous paraît pas saugrenu de projeter qu’une évolution jurisprudentielle, s’adaptant aux spécificités rencontrées dans l’arrêt du 25 octobre 2017 voire dans le jugement du 16 décembre dernier, puisse survenir, en autorisant par exemple une autorité de tutelle à faire cesser immédiatement toute atteinte à l’article 28 de la loi au nom de l’ordre public, ou en permettant à chaque administré de demander à l’autorité défaillante d’intervenir elle-même, sans délai, à la manière de ce qui fut en d’autres temps prévu par la jurisprudence Doublet. Pour l’heure, ces hypothèses ne sont que pure fiction juridique, mais le débat nous semble permis.

     

           3. La condamnation de l’installation d’une croix dans le paysage public, et le maintien de la représentation d’un éminent personnage du monde catholique semblait illustrer, en 2017, la manière dont le juge administratif appréhendait les problématiques liées aux questions de laïcité et, en particulier, celles afférentes aux statues et autres effigies : pragmatique voire constructive.

    A l’inverse, celle adoptée par le tribunal administratif de Nantes s’inscrire dans le cadre plus rigoureux tracé dès l’origine par le législateur : au commencement était en effet une autre interprétation, et cette interprétation était stricte, car, comme le spécifiait Aristide Briand dans son rapport à la Chambre des députés, la laïcité marquait l’exclusion tant attendue de l’Eglise des affaires de l’Etat, davantage que l’exclusion de la puissance publique du commerce ecclésiastique[22].

    Cette volonté du législateur de s’extraire de l’emprise de l’Eglise pourrait même, si nous osions le parallèle, s’apparenter à celle manifestée à l’occasion de l’adoption de la loi des 16 et 24 août 1790 ; dans les deux situations, l’administration, dans une acception très large du terme, s’est affranchie de ce qu’elle percevait comme une menaçante tutelle sur son activité (rappelons que l’une des causes de l’adoption de cette loi réside, notamment, dans l’annulation par le juge judiciaire, en juillet 1790, d’une taxe sur le prix du pain établie par la Municipalité de la ville de Soisson, ce qui provoqua un débat animé à la Constituante, le 20 juillet de cette même année, débat au cours duquel l’un des rapporteurs condamna l’attitude du tribunal provincial au motif qu’une telle pratique confondait, de fait, les fonctions administratives et le pouvoir judiciaire, ce qui fit dire à Robespierre, ensuite, qu’on ne pouvait permettre au pouvoir judiciaire d’« entreprises » sur les fonctions de l’administration[23]). De cette volonté qui anima le législateur, le juge administratif tira la conclusion qu’il devait être le garant d’une stricte séparation entre ces diverses autorités, administratives et célestes, mais cela n’a jamais signifié que les relations entre les institutions devaient disparaître. Elles ont au contraire perduré.

    Il est important de rappeler, en ce sens, que les collectivités publiques ont concouru dès le départ, bien qu’indirectement, aux activités cultuelles, les édifices bâtis avant le 9 décembre 1905 demeurant des propriétés publiques, le financement des écoles privées étant rendu possible au lendemain de l’adoption de la loi Debré du 31 décembre 1959, les expositions d’objets ou d’œuvres d’art dans un cadre muséal étant encouragées. Quant à l’exclusion des concours financiers, celle-ci n’est pas absolue, le bail emphytéotique, la garantie d’emprunt ou encore la défiscalisation des dons en sont autant d’exemples. Le législateur, s’il a fixé un cadre au principe de laïcité, a donc tantôt adouci – notons, à propos du financement des écoles privées, que la loi Debré mit fin à une jurisprudence contraire du Conseil d’Etat[24] –, tantôt renforcé[25] les traits en dessinant les contours. Il est ainsi prégnant que si l’interdiction faite aux cultes de s’immiscer dans la conduite des affaires publiques ne fut jamais remise en cause, le législateur a souvent modulé les effets de cette séparation, tout en maintenant cette exigence de neutralité qui garantit la liberté religieuse et le respect du pluralisme.

    Le juge administratif semble aujourd’hui suivre cette tendance, en respectant les limites tracées par le droit positif, mais en s’accordant une marge d’appréciation jusqu’alors inconnue. Des décisions telles que celle rendue par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à propos de la subvention de la venue de Jean-Paul II – déjà – sur le sol français[26], ou encore celle rendue par le Conseil d’Etat au sujet de la subvention locale accordée à l’association « Siva Soupramanien de Saint-Louis »[27], pourraient connaître un sort différent, le juge prenant en compte, désormais, un élément déterminant pour rendre légale une décision administrative baignée de religiosité : l’intérêt public. Cette liberté d’interprétation connaît cependant une limite, celle liée à la neutralité exigée des agents publics, laquelle n’a jamais fait l’objet jusqu’à d’un quelconque assouplissement[28], renforcée d’ailleurs par la Cour européenne des droits de l’homme[29].

    La prise en compte de l’intérêt public pour atténuer la rigueur de l’exigence de la laïcité semble rapprocher la position du juge administratif de celle des juges européens en la matière, bien qu’un parallèle ne puisse que difficilement être établi, tant la notion de laïcité est éloignée des dispositions européennes ou communautaires[30]. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme notamment, en consacrant la liberté de religion, de conscience et de pratique, s’il invite les Etats à ne pas discriminer sur le fondement de croyances, ne les invite en revanche pas à faire preuve de neutralité au sens de la loi de 1905. Ont pu ainsi être sanctionnées des atteintes à la liberté d’exercice d’un culte[31], des ingérences dans le fonctionnement d’un mouvement religieux[32], ou encore des incitations indirectes à croire en une religion déterminée[33], mais ces affaires restent exceptionnelles. Le plus souvent, les juges européens relativisent le caractère attentatoire, par exemple, de l’emploi d’un symbole religieux par la collectivité publique, tant que la liberté de conscience accordée à chacun des citoyens est préservée[34]. Tout est ici question de proportionnalité.

    Les décisions rendues par le Conseil d’Etat en la matière, éclairées en cela par la notion d’intérêt public, tendent ainsi à faire évoluer la nature du contrôle de légalité, contrôle s’apparentant désormais, et d’une certaine manière, à celui du bilan coût-avantage en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique ; le « lemon test » évoquée par Aurélie Bretonneau dans ses conclusions sur l’affaire des crèches municipales en est l’une des illustrations rémanentes[35]. Elle rappelait en effet la nature de ce test pratiqué par les juridictions américaines et, le transposant à nos problématiques nationales, considérait que la limite à l’action publique en matière de neutralité religieuse était essentiellement constituée par la promotion ou la prohibition d’une croyance, ou encore par l’implication excessive d’une collectivité ou d’un organisme public dans les affaires religieuses. De ces éléments de réflexions, le Conseil d’Etat avait alors, pour apprécier la légalité de l’installation litigieuse, examiné quels étaient le contexte et les usages locaux, les conditions et le lieu d’installation, rappelant que ces éléments permettaient de déterminer si la crèche avait un caractère exclusivement cultuel, ou bien si elle revêtait également une dimension culturelle, artistique ou festive[36]. Bien que très contestable et par ailleurs contestée par une partie de la doctrine, cette dernière décision, qui semblait reposer sur des éléments juridiques précis, s’inscrivait en tout état de cause dans le prolongement de la ligne jurisprudentielle esquissée dès 2011[37], laquelle a connu depuis diverses applications qui ont permis de confirmer que l’intérêt public, en ces domaines passionnées, était d’un maniement peu aisé[38].

    Dans les deux affaires que nous proposons d’examiner en une sorte de parallèle, nier le caractère religieux de la représentation de Jean-Paul II ou de Saint-Michel eût été farfelu, mais dans le premier cas l’intérêt historique du personnage prima pour les juges administratifs amenés à se prononcer sur l’affaire, la chose étant loin d’être inédite, puisqu’ils imitèrent par-là leurs prédécesseurs qui avaient confirmé, en d’autres temps, la légalité d’un marché passé par la ville de Lille en vue de la réalisation d’une statue du Cardinal Liénart[39]. La force culturelle, artistique ou historique, si elle permet ainsi de continuer de célébrer des personnages tels que Mazarin ou Saint-Louis, ou encore l’abbé Grégoire, n’autorise pas, en revanche, l’érection d’un symbole religieux pris dans sa singularité, telle la croix qui, elle, ne peut bénéficier d’un quelconque assouplissement jurisprudentiel – sauf exceptions prévues à l’article 28 de la loi de 1905 lui-même[40].

    C’est en ce sens que nous pensons que le jugement du tribunal administratif de Nantes aurait pu être autre : de toute évidence, si l’intérêt historique intrinsèque de l’archange Saint-Michel demeure avant tout fictionnel, il eût été selon nous possible de considérer que la statue en cause présentât un intérêt public, dans les circonstances particulières de l’espèce, dès lors que celle-ci était installée au cœur du quartier Saint-Michel, sur le parvis de l’église Saint-Michel, ce qui pouvait être considéré comme la manifestation d’une tradition locale réitérée – à la différence des circonstances dans lesquelles la cour administrative d’appel de Lyon a rendu son arrêt précité au sujet de la Vierge située sur le domaine public de la commune de Saint-Pierre-d’Alvey, la statue de Saint-Michel présente une historicité et un lien avec la commune des Sables-d’Olonne davantage matérialisé. Il sera ainsi intéressant de voir si les juridictions supérieures probablement saisies garderont la même appréciation que les premiers juges, ou opteront pour une lecture plus constructive de la notion de laïcité de l’espace public au sens des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

    *

    *          *

    Pour conclure, en 2011, le Professeur Touzeil-Divina soulignait déjà le basculement opéré par les juridictions administratives vers une laïcité bienveillante ou, empruntant le qualificatif au Président Sarkozy dans son discours du Latran, repris ensuite à Riyad (dans deux quasi-théocraties), « positive »[41]. Cette notion nouvelle, au terme de laquelle l’Etat n’aurait plus à craindre l’intrusion du fait religieux dans la conduite des affaires publiques, l’autorise en conséquence à transformer ce fait religieux en atout pour la République. Le parallèle avec la notion de discrimination positive semble s’imposer aisément, la laïcité étant un élément de la neutralité, elle-même corollaire de l’égalité, égalité envisagée essentiellement par le juge administratif comme un principe de non-discrimination jusqu’au début des années 1970. Il est intéressant de relever, sur ce point justement, que la systématisation des facultés de discriminer positivement les usagers du service public, instaurée par le Conseil d’Etat en 1974[42], s’inscrivait dans un mouvement politique et sociétal d’ensemble, né aux Etats-Unis et consacré par le droit positif américain par l’Executive Order 10925 du 6 mars 1961 signé par le Président Kennedy, l’écho se répandant ensuite dans notre pays. Nous doutons fortement que la notion de laïcité positive – toute idée de discrimination religieuse mise à part – puisse connaître le même sort, mais nous ne nous interdisons pas de penser que les frémissements jurisprudentiels en un sujet si sensible participent d’un mouvement d’ensemble, de nouveau initié par le politique dans une volonté d’apparence concordataire, de faire de l’Etat un réel acteur face aux enjeux religieux. C’est en ce sens que nous proposerions de substituer, à l’adjectif positif, celui de constructif.

    En définitive, il nous apparaît que cette volonté de transformer les rapports entre l’Etat et le religieux répond, près d’un demi-siècle plus tard, aux attentes exprimées par le IIème concile œcuménique du Vatican en ces termes : vu que « la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. »[43]

    Ou quand les affaires terrestres garantissent les affaires célestes.

     

    [1] CE, 25 octobre 2017, Fédération morbihannaise de la Libre Pensée et autres, n°396990

    [2] TA Nantes, 16 décembre 2021, Fédération de Vendée de la Libre Pensée c/ Commune des Sables d’Olonne, n° 1900981

    [3] TA Rennes, 30 avril 2015, n°1203099, 1204355, 1204356, AJCT 2015, p. 483, obs. Y. Goutal

    [4] CAA Nantes, 12 décembre 2015, n°15NT02053, 15NT02054, AJCT 2016, p. 212, obs. C. Otero

    [5] Règle reprise à l’article L.243-1 du CRPA

    [6] Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, JO du 11 décembre 1905, p.7205

    [7] Edition du 9 novembre 2017

    [8] CE, ord., 26 août 2016, n°402742, Ligue des droits de l’homme, Assoc. de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France, AJDA 2016, p. 1599 ; CE, ord., 26 septembre 2016, n° 403578, Assoc. de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France, AJCT 2016, p. 529

    [9] La traditionnelle jurisprudence Doublet ne trouve donc pas à s’appliquer (CE, 23 octobre 1959, Doublet, Rec. p. 540)

    [10] Un siècle de laïcité, EDCE, 2004, p. 272

    [11] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, JO n°65 du 17 mars 2004, p.5190

    [12] Patrick Frydman, Les vingt ans de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge - À propos de la dignité de la personne humaine, RFDA, 2015, p.1105

    [13] CE, ord., 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508

    [14] Patrick Frydman, op. cit.

    [15] Cet article prévoit expressément que l’élévation ou l’apposition d’un signe ou d’un emblème religieux « sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

    [16] Article 37 de la loi du 9 décembre 1905

    [17] CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Varja Triomphant, n°248467, Rec. t. p. 591

    [18] Sophie Boissard, concl. sur CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Varja Triomphant, AJDA 2004, p.1367

    [19] CE, 3 mars 2003, Ministre de l’Intérieur c/ M. Rakhimov, n° 238662, Rec. p.75

    [20] Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, JO du 23 décembre 1992, p.17568

    [21] CAA Lyon, 29 avril 2021, Commune de Saint-Pierre-d’Alvey, n° 19LY04186

    [22] Aristide Briand, JO Débats annexe n°2302, 2ème séance du 4 mars 1905

    [23] Voir : Jean-Louis Mestre, Introduction historique au droit administratif français, PUF, 1985, 296 p., 1ère partie

    [24] CE, 25 février 1928, Commune de Montfaucon-en-Velay, Rec. p.27

    [25] Par exemple, la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, JO du 17 mars 2004, p.5190

    [26] TA Châlons-en-Champagne, 18 juin 1996, Thierry Come et Association « Agir », n°96442 et 96443

    [27] CE, Sect., Commune de Saint-Louis et association Siva Soupramanien de Saint-Louis, n°94455, Rec. p. 358

    [28] CE, 15 octobre 2003, M. Odent, n°244428, Rec. p. 402 ; CE, 19 février 2009, Bouvier, n°311633, Rec. t. p.813

    [29] CEDH, 26 novembre 2015, Mme Ebrahimian c/ France, n°64846/11, AJDA, 2015, p. 2292

    [30] Sur cette question : Roseline Letteron, Droit européen et laïcité : la diversité des modèles, AJDA, 2017, p.1368

    [31] CEDH, 24 mai 2016, Association « Solidarité avec les Témoins de Jéhovah » c/ Turquie, n°36915/10

    [32] CEDH, gde ch., 26 oct. 2000, Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie, n° 30985/96

    [33] CEDH, gde ch., 18 février 1999, Buscarini et a. c/ Saint-Martin, n°24645/94

    [34] CEDH, gde ch., 18 mars 2011, Lautsi et a. c/ Italie, n°30814/06

    [35] Aurélie Bretonneau, Conclusions sur CE, Ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun, n°395122 et Fédération de la libre pensée de Vendée, n°395223, Rec. p.452

    [36] CE, Ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun, n°395122, point 5

    [37] CE, ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n°308544, Rec, p.370 ; CE, ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et Picquier, n°308817, Rec. p.372 ; CE, ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole, n°309161, Rec. p.393 ; CE, ass., 19 juill. 2011, Commune de Montpellier, n°313518, Rec. p.398

    [38] Sur la légalité d’un financement accordé à la rénovation d’un édifice cultuel : CE, 17 février 2016, n°368342, Région Rhône-Alpes, Rec. p.41 ; sur l’illégalité d’un financement accordé à une manifestation cultuelle : CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et a., n°347049, Rec. p.10

    [39] CE, 25 novembre 1988, Dubois, n°65932, Rec. p.422

    [40] Sur les conditions de maintien d’une croix sur le portail d’un cimetière, voir : CE, avis, 28 juillet 2017, n°408920

    [41] Pour en faire la critique ; Mathieu Touzeil-Divina, Laïcité latitudinaire, Dalloz, 2011, p.2375

    [42] CE, sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n°88032, Rec. p274

    [43] Concile Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae, ch.1 §7, Limites de la liberté religieuse

    Michilus AH2120 web

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Dans un arrêté en date du 28 avril 2021, publié le 29 avril au journal officiel, le ministre de la justice a enfin détaillé le calendrier de mise à disposition du public des dispositions rendues par les juridictions administratives.

    Les articles 20 et 21 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique ont imposé la mise à disposition du public des décisions des juridictions administratives et judiciaires.

    Par un décret n° 2020-797 du 29 juin 2020, le gouvernement a placé sous la responsabilité respectivement du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation la mise à disposition sous forme électronique des décisions de chacun des deux ordres. Celle-ci sera réalisée sur un portail internet dépendant du garde des sceaux.

    Par ailleurs, l’article 9 du décret du 29 juin 2020 précisait :

    « Un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, détermine, pour chacun des ordres judiciaire et administratif et le cas échéant par niveau d'instance et par type de contentieux, la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public en application des articles 1er et 4 et les copies de ces décisions sont délivrées conformément aux articles 2 et 5.

    Jusqu'à cette date, la diffusion des décisions est poursuivie dans les conditions prévues par l'article 1er du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 ainsi que par les dispositions applicables aux sites internet du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation.

    Les dispositions de l'article 6 entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication du présent décret au Journal officiel. »

    Aucun arrêté ayant été pris pour l’application de cette disposition règlementaire, le Conseil d’Etat, avait considéré, le 21 janvier 2021 :

    « 6. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle. Lorsqu'un décret pris pour l'application d'une loi renvoie lui-même à un arrêté la détermination de certaines mesures nécessaires à cette application, cet arrêté doit également intervenir dans un délai raisonnable.

    7. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire, de prendre ces mesures. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'une autorité administrative d'édicter les mesures nécessaires à l'application d'une disposition législative, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

    8. Ainsi qu'il a été rappelé au point 2 ci-dessus, si le décret d'application des articles L. 10 du code de justice administrative et L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire a été pris le 29 juin 2020, l'entrée en vigueur de ces articles demeure subordonnée à l'intervention d'un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. Aux termes de l'article 9 du décret : " Jusqu'à cette date, la diffusion des décisions est poursuivie dans les conditions prévues par l'article 1er du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 ainsi que par les dispositions applicables aux sites internet du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation ". Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'il appartient au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre, dans un délai raisonnable, l'arrêté mentionné à l'article 9 du décret du 29 juin 2020.

    9. Il n'est pas contesté que la mise à disposition du public des décisions de justice constitue une opération d'une grande complexité pouvant nécessiter, à compter de l'intervention du décret en organisant la mise en œuvre, des dispositions transitoires. Toutefois, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne pouvait, sans méconnaître ses obligations rappelées au point 6, s'abstenir de prendre l'arrêté prévu à l'article 9 du décret du 29 juin 2020 et de fixer le calendrier d'entrée en vigueur des dispositions de ce décret dans un délai raisonnable, plus de 20 mois après la loi du 23 mars 2019 et plus de six mois après la publication du décret du 29 juin 2020 à la date de la présente décision, pour l'application des dispositions législatives relatives à la mise à disposition du public des décisions de justice, laquelle, au demeurant, a été prévue par le législateur dès 2016. Il s'ensuit que l'association " Ouvre-boîte " est fondée à soutenir que le garde des sceaux, ministre de la justice, ne pouvait légalement refuser de prendre cet arrêté. »

    Ainsi, par cet arrêt, le Conseil d’Etat avait ordonné au garde des sceaux de prendre l'arrêté prévu dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision.

    C’est ce à quoi procédé l’arrêté en date du 28 avril dernier : les décisions de justice et les copies sollicitées par des tiers sont respectivement mises à disposition du public et délivrées aux tiers, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 10 et L. 10-1, R. 741-13, R. 741-14 et R. 751-7 du code de justice administrative, au plus tard le :

    • 30 septembre 2021 s'agissant des décisions du Conseil d'Etat ;
    • 31 mars 2022 s'agissant des décisions des cours administratives d'appel ;
    • 30 juin 2022 s'agissant des décisions des tribunaux administratifs.

    A partir de ces dates, les décisions des juridictions administratives devront être mises en ligne dans un délai de deux mois.

    Certaines informations devront être occultées (noms, prénoms des parties et des tiers), d’autres éléments d’identification pourront être occultées sur décision du président de la formation s'il estime que la vie privée ou la sécurité des personnes mentionnées ou de leur entourage l'exige.

    Enfin, pourra également être supprimé « tout élément de la décision dont la divulgation est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».

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    Crédit dessin: Michel Szlazak

    La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (dite « ASAP ») a été publiée au Journal officiel le 8 décembre 2020.

    Parmi ses nombreux articles, certains modifient amplement le droit de la commande publique.

    Voici un tour d’horizon des changements à venir dans la pratique du droit de la commande publique.

    En premier lieu, s’agissant d’entreprises en difficulté candidatant ou titulaires d’un marché :

    • Le Code de la commande publique faisait du redressement judiciaire de l’opérateur économique un motif d’exclusion, l’empêchant de se voir attribuer un marché (article L. 2141-3) sauf à justifier d’avoir été habilité à poursuivre son activité pendant la durée d’exécution prévisible du contrat.

    La loi Asap (article 131) vient renforcer la protection des opérateurs économiques en redressement judiciaire, en permettant aux entreprises bénéficiant d’un plan de redressement de soumissionner à un marché public en modifiant l’article L. 2141-3.

    • En matière de résiliation des marchés, les entreprises en redressement judiciaire sont désormais encore mieux protégées : la loi Asap, par son article 131 5° vient modifier l’article L. 2195-4 du code, en ne permettant plus à l’acheteur de « prononcer la résiliation du marché lorsque l'opérateur économique fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire instituée par l'article L. 631-1 du code de commerce, à condition que celui-ci l'ait informé sans délai de son changement de situation » (ancienne rédaction).

    L’acheteur ne pourra « prononcer la résiliation du marché au seul motif que l'opérateur économique fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire en application de l'article L. 631-1 du code de commerce, sous réserve des hypothèses de résiliation de plein droit prévues au III de l'article L. 622-13 du même code » (nouvelle rédaction issue de la loi ASAP).

    En deuxième lieu, la loi ASAP pérennise le dispositif adopté pendant le premier confinement en transcrivant dans le code l’essentiel des dispositions de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19. Ces nouvelles règles permettront de réagir à la survenance de circonstances exceptionnelles nouvelles.

    L’article 132 de la loi Asap introduit ainsi dans le Code de la commande publique deux nouveaux livres (un concernant les marchés publics et un concernant les concessions) autorisant le Gouvernement, en cas de circonstances exceptionnelles, à mettre en œuvre par décret des mesures dérogeant aux règles de passation et d’exécution des marchés publics et des concessions (articles L. 2711-1 et suivants et L. 3411-1 et s.).

    Ces mesures se résument par :

    • La possibilité d’apporter en cours de procédure toutes les adaptations nécessaires à sa poursuite (L. 2711-3) ;
    • La possibilité de prolongation unilatérale par l’acheteur des délais de réception des candidatures et des offres (L. 2711-4) ;
    • La possibilité de prolongation du contrat par avenant dans certains cas encadrés (L. 2711-5) ;
    • L’absence de sanction contre le titulaire se trouvant dans l’impossibilité d’exécuter le contrat tout en prévoyant une possibilité de marchés de substitution en pareil cas aux frais de l’acheteur public (L. 2711-8).

    En troisième lieu, l’article 143 de la loi ASAP introduit un nouveau cas de marché global sectoriel, venant s’ajouter aux cas prévus par l’article L. 2171-4 du Code de la commande publique.

    Il s’agit de la possibilité de recourir à ce type de marché pour la conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien des infrastructures linéaires de transport de l’Etat.

    En quatrième lieu, l’article 131 crée l’article L. 2152-9 du Code de la commande publique, obligeant l’acheteur passant un marché global de tenir compte, parmi les critères d’attribution, de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans.

    En effet, le marché global prévoit dorénavant une part minimale de l'exécution du contrat que le titulaire s'engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans. Cette part minimale sera prévue par voie réglementaire (nouvel article L. 2171-8).

    En cinquième lieu, l’article 131 de la loi ASAP modifie l’article L. 2122-1 du Code de la commande publique afin de permettre aux acheteurs, dans des cas fixés par décret, de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, dans des cas où « un motif d’intérêt général » le justifie :

    « L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d'Etat lorsqu’en raison notamment de l'existence d'une première procédure infructueuse, d'une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d'une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l'acheteur ou à un motif d'intérêt général. »

    Il faudra alors démontrer, pour passer un marché public sans mise en concurrence ni publicité, que les règles de publicité et de mise en concurrence normalement applicables sont « manifestement contraires » aux motifs d’intérêt général considérés.

    En sixième lieu, l’article 142 de la loi hausse, jusqu’au 31 décembre 2022, le seuil (à 100000 euros) sous lequel les marchés de travaux peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence.

    En septième lieu, l’article 133 de la loi prévoit que des avenants, régis par les règles du code de la commande publique, peuvent venir modifier sans nouvelle mise en concurrence, les contrats de la commande publique antérieurs au 1er avril 2016.

    Les acheteurs pourront ainsi modifier des marchés publics conclus avant 2016 pour une durée longue, lorsqu’une telle modification est devenue nécessaire par des circonstances que l’acheteur ne peut prévoir, circonstances couvrant les crises sanitaires.

    En huitième lieu, l’article 141 modifie l’article L. 2113-14 du code qui prévoit pour l’avenir qu’un acheteur peut réserver un marché (ou un lot) à la fois aux entreprises adaptées et aux structures d’insertion par l’activité économique.

    Enfin, s’agissant des marchés de prestations de représentation légale d’un acheteur par un avocat et les prestations de conseil juridique qui s’y attachent, l’article 140 de la loi ASAP les fait entrer dans la catégorie « autres marchés » exclus de l’essentiel des règles de la commande publique.

    Ce faisant, la loi ASAP transpose les directives et la jurisprudence européennes sur le sujet.

    Il doit être noté que le conseil constitutionnel, par sa décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020 a validé les mesures de ce projet de loi sur le volet commande publique.

    Michilus AH52 web

    Crédit dessin: Michel Szlazak

    Un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 11 décembre 2020 illustre la prise en compte d'une conviction religieuse par le service public de la restauration scolaire. Ce service dispose de la faculté d'offrir un choix permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par cette conviction :

    « 5. En troisième lieu, aux termes de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’article 1 er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». Aux termes de l’article 1 er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Aux termes de l’article 2 de la même loi : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Aux termes de l’article L. 141-2 du code de l’éducation : « l'Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l'enseignement public la liberté des cultes et de l'instruction religieuse ».

    6. S’il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu’il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l’article 1 er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers, ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas.

    7. Lorsque les collectivités ayant fait le choix d’assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.

    8. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que les principes de laïcité et de neutralité du service public ne faisaient, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, la cour n’a, contrairement à ce que soutient la commune requérante, ni commis d’erreur de droit, ni méconnu les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité des usagers devant le service public » (CE , 11 décembre 2020, n° 426483).

    Ainsi, le service peut présenter une signification religieuse pour ses usagers.

    Aux termes d’un raisonnement plus complexe, le Conseil d’Etat avait précédemment admis l’emploi de symboles religieux à condition qu’ils ne présentent pas de signification religieuse particulière. Il avait ainsi admis, par un arrêt du 9 novembre 2016, l’installation d’une crèche de Noël dans un bâtiment public, à condition notamment qu’elle s’inscrive dans une tradition locale :

    « 3. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d'une part, d'assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d'autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l'égard des cultes, en particulier en n'en reconnaissant ni n'en subventionnant aucun. Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " et, aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ". Pour la mise en oeuvre de ces principes, l'article 28 de cette même loi précise que : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d'apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d'exposition. En outre, en prévoyant que l'interdiction qu'il a édictée ne s'appliquerait que pour l'avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l'entrée en vigueur de la loi.

    4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année.

    5. Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public.

    6. Dans l'enceinte des bâtiments publics, sièges d'une collectivité publique ou d'un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

    7. A l'inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d'année notamment sur la voie publique, l'installation à cette occasion d'une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu'elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse.

    8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nantes s'est fondée sur la circonstance que la crèche installée dans le hall du conseil général de la Vendée s'inscrivait dans le cadre de la préparation de la fête familiale de Noël pour estimer qu'elle ne constituait pas, en l'absence de tout élément de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse, un signe ou emblème religieux contraire à l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et au principe de neutralité des personnes publiques. En statuant de la sorte sans rechercher si cette installation résultait d'un usage local ou s'il existait des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché son arrêt d'erreur de droit» (CE, 9 novembre 2016, n° 395223).

    Voir par exemple, pour une tradition locale déniée par le juge :

    « 8. En l'espèce, la crèche en litige a été installée au début du mois de décembre 2017 sous l'escalier d'honneur, menant aux services publics et à la salle du Conseil municipal, dans le hall d'accueil de la mairie. Elle se situe donc dans l'enceinte d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique.

    9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'installation de cette crèche, qui représente Marie et Joseph à côté de la couche de l'enfant Jésus, accompagnés de santons personnifiant à la fois des personnages bibliques, comme les rois mages, et des personnages provençaux traditionnels, résulterait d'un usage local, dès lors qu'aucune crèche de Noël n'a jamais été installée dans les locaux en cause avant le mois de décembre 2014. Elle ne peut non plus être regardée comme résultant d'un usage culturel ou d'une tradition festive à Beaucaire, laquelle ne saurait résulter à cet égard de la seule proximité géographique immédiate de cette commune et de la région provençale. Cette crèche ne peut davantage être directement rattachée à l'exposition "Les Santonales" organisée par l'association "Renaissance du vieux Beaucaire" depuis l'année 2005, dès lors notamment que cette dernière prend place du 1er au 7 janvier 2018, dans un autre bâtiment municipal, situé à environ 250 mètres de l'hôtel de ville où est installée la crèche litigieuse. A la différence de la crèche installée dans le cadre de cette exposition, la crèche en litige ne présente, par elle-même, aucun caractère artistique particulier et ne peut être considérée comme ayant, en tant que telle, le caractère d'une exposition au sens des dispositions de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

    10. Il s'ensuit, alors même que la commune de Beaucaire affirme ne poursuivre aucun but prosélyte, que le fait pour le maire de cette commune d'avoir fait procéder à cette installation dans l'enceinte d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, a méconnu l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

    11. Il résulte de tout ce qui précède que la ligue des droits de l'homme est fondée à demander l'annulation de la décision d'installer une crèche de la nativité dans le hall de l'hôtel de ville de Beaucaire au mois de décembre 2017» (TA de Nîmes, 25 juin 2020, n° 1703896).